16 ans, Bratislava (Tchécoslovaquie)

Je me suis apprise à raidir ma nuque,
J’ai appris à regarder droit dans les yeux
J’ai appris à redresser la tête
Alors que j’avais envie de me jeter à genoux
J’ai appris à pleurer de rage
Plutôt que de honte,
A serrer les dents pour ne pas pleurer
A répondre amèrement alors que j’aimais
A être indifférente au lieu de folle de joie,
J’ai appris à être fière, grave,
Insolente et étrange,
Appris à porter haut la tête sous la tempête,
J’ai raidi ma nuque
J’ai appris et j’ai su être méchante.
J’ai fait croire que je jubilais de voir souffrir
Alors que je jubilais de souffrir de voir souffrir,
Je jubilais de me faire mal
Je m’enivrais de sentiments tristes,
Je me rebellais, me saoulais de peur
et de crainte, et de ma rigidité.
J’ai été folle et maintenant j’ai peu d’amis,
Peu de joie profondes car j’ai trop dissimulé.
Je me suis enfermée dans de sottes superstitions.
J’étais fière d’être fière.

Evelyne, CEG Chamalières (63)

   

Mais ces terreurs de l'enfance sont passées. Je m'ensevelissais sous les rêves et les lentes torpeurs. Maintenant tout est clair, le ciel est lumineux ; ce n'était qu'un rêve étrange que j'avais construit.

Le printemps est comme la rosée du matin. Quelle belle journée pour travailler ! Je courrai dans les champs, vendredi, samedi. Les cloches sonneront à toute volée. L'air sera doux avec ce petit vent frais qui effleure les pousses vertes des blés. Vert : espoir. Bleu : poésie et immensité. Neige, pureté, fraîcheur, douceur, tranquillité, j'ai tout désappris. Il me reste peut-être une certaine fierté mais mon coeur la dément, la démystifie mieux qu'auparavant : plus de superstition mais une confiance extrême ; je suis enfin moi-même.

Je pensais bon auparavant d'avoir des sentiments, des lieux à rappeler, certains jours au coin du feu avec le chat en colimaçon sur la pierre de l'âtre (il descend des gastéropodes), mais je m'aperçois qu'il vaut mieux avoir à découvrir. Découvrir, chercher, c'est la vie car nous avons été créés pour créer à notre tour.

Evelyne, CEG Chamalières (63)

Isabelle, 16 ans, CEG rue des Moulins, Toulouse - Mlle Campistron

   

Christian, 14 ans, CEG Traverse du couvent, Marseille
M.Castel

J’étais seul dans la plaine, le temps était gris et pourtant il n'y avait pas de brume ; je voyais au loin les collines du Mont Pinçon, puis, plus près, dans une autre direction, le château d'eau et le clocher de l'église de Thaon et d'autres clochers inconnus...

Le ciel était bas, de gros nuages menaçants m'écrasaient. J'étais en train de biner une pièce de poireaux avec un outil que l'on appelle pousse-pousse car, tout simplement, on doit le pousser. J'étais heureux de travailler avec un outil qui n'avait pas de moteur, qui ne répondait qu'à la force de mes bras, sans bruits, sans fumée, sans odeurs. J'étais loin du monde, loin de ce monde qui ne pense qu'à l'argent, qui ne travaille que pour l'argent, loin de ce monde pourri par l'argent.

A côté de moi les épis de blé que faisait s'entrechoquer le vent, imitaient le bruit de la mer. Au-dessus de ma tête un groupe de corbeaux passèrent en croassant suivi de près par des mouettes gracieuses. Les hirondelles volaient bas, le temps était à la pluie. Malgré le vent froid qui soufflait, j’avais chaud et une odeur de sueur me montait au nez.

J'étais heureux et ému de voir tout ce paysage et ces oiseaux si beaux, si paisibles. J'étais loin de ces gens qui ne voient que par les machines, qui ne savent plus regarder, qui ne savent plus écouter, qui ne savent plus rêver.

A force de fixer les lignes de poireaux mes yeux se brouillaient, je levai la tête et je m'aperçus que le Mont Pinçon et les clochers et les châteaux d'eau avaient disparu. Ils étaient ensevelis sous la pluie qui tombait et qui venait par ici. Déjà quelques gouttes m'arrivaient, transportées par le vent. je me dépêchai de finir la pièce ; plus qu'un aller et retour ; mes lunettes étaient mouillées et je dus les enlever pour les mettre dans la poche de mon blouson. J'avais presque fini mais déjà l'eau me traversait. Maintenant que mon travail était terminé je n'avais plus envie de rentrer à la maison. La pluie tombait en gouttes fines et me glaçait. J'aurais aimé m'allonger sur un tas de paille et rêver. Mais je ne pouvais pas car on serait venu me chercher et l'on m'aurait traité de fou parce que j'aime la pluie et le vent.

Jackie, CEG Douvres la Délivrance (14) M.Sueromain

   

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