Madeleine

11 ans. Formée depuis un an. Fortement secouée par des règles irrégulières. Un peu poseuse (dominant une famille faiblement intelligente). Elle a très bien compris la pièce qui lui a plu. Elle a compris aussi que la pièce était faite par et pour de plus jeunes qu'elle. Elle la raconte bien et clairement.

Pourtant, dans le domaine du dessin, elle ne peut se tirer de ses phantasmes habituels : en ce moment, elle dessine escargots, spirales et points d'interrogation. Et son premier dessin à propos de la pièce est cet escargot, recommencé 3 fois, dont elle est finalement mécontente et me dit en me l'apportant : « je vais en faire un mieux ». Cet escargot est un personnage figurant de la pièce, n’apparaissant que 2 minutes.

Le deuxième dessin de Madeleine est donc un escargot, dans lequel elle réussit le prodige d'inclure la fleur largement ouverte qui est un de ses thèmes favoris ; fleur que j'ai vu s'épanouir librement en quelques mois, phénomène qui a épousé son évolution physique et psychique.

Madeleine tentera un troisième dessin, où un essai de structuration de l'espace avortera : traits à la règle pour soutenir l'ensemble, petites fleurs surajoutées.

Décidément, le dessin n'est pas pour Madeleine un moyen d'expression. Heureusement pour elle, elle en a d'autres (que les techniques de l'Ecole Moderne lui ont permis de travailler et de dominer).

Jeanny

9 ans

Enfant intelligent, mais très perturbé. Totalement identifié au père, lui-même bien complexé et qui offre inconsciemment un mauvais modèle à l'enfant. Jeanny est aussi très sensible (à l'excès) et il subit des chocs affectifs qui sont très longs à s'effacer (depuis plusieurs mois, il ne peut se remettre de la mort d'un petit renard).

Dans son premier dessin, son arbre est agressif, mais peu courageux et au regard fuyant (c'est l'image du père). Le garde a quatre bras, La tortue est pratiquement une pierre. C'est un dessin de qualité habituelle pour Jeanny, qualité qui est faible.

Jeanny, qui est extrêmement rapide en tout mais ne peut rien terminer, apporte, le premier, un deuxième dessin, Il est déjà fatigué. Cela ne va pas l'empêche d'en apporter très vite un troisième Il s'amuse beaucoup à tout raconter et à vouloir briller à tout prix. Non écouté, il se mettra travailler seul à son français.

Martine

8 ans 11 mois

Intelligente, douce, travailleuse. Sans problèmes. Une pointe d'orgueil, peut-être. Mais n'est-ce point une qualité ? Dessinant beaucoup et bien.

Son premier thème choisi est bien choisi. C'était un joli passage de la pièce, un véritable ballet. Dans l'arbre transparaît un stéréotype de Martine : ces yeux féminins. Mais le dessin a nettement régressé par rapport à la production habituelle de l'enfant.

Le deuxième dessin est bon quoique encore en retrait par rapport à la production habituelle. Il rend bien le caractère féminin de Martine.

Du troisième dessin, elle a dit : « Je veux dessiner la tortue, mais je ne sais pas dessiner les tortues. » Je me suis rappelé que, l'année dernière, elle dessinait librement de très belles tortues, très originales, qui avaient été exposées longtemps dans la classe et qui le furent aussi lors d'expositions régionales. Mais elle avait dû l'oublier. Elle se sécurise donc ici par le quadrillage.

Le quatrième dessin est bien équilibré, très féminin. Martine y retrouve ses tracés habituels (la fillette de droite).

Conclusion : ce que dessine habituellement Martine est bien supérieur : elle dessine tranquillement, quand elle en a envie. Ici, elle est poussée à raconter une histoire qui, quoique intéressante, reste extérieure à ses préoccupations.

Nathalie

8 ans 11 mois.

Très intelligente, travailleuse. Pointe d'orgueil.

Pleine de problèmes : n'arrive pas à liquider l'Oedipe. Sexualité prononcée. Dessine beaucoup et bien.

Ce premier dessin marque une nette régression. Mais il serait très riche à analyser : problème du père, sexualité, fleurs, etc.

Deuxième dessin : Dessin encore nettement en régression par rapport au travail en expression libre. L'oeil de la girafe ressemble nettement aux yeux des personnages habituels de Nathalie.

Troisième dessin : Les gardes ont effrayé Nathalie. Elle rend sa frayeur d'une manière aberrante Est-ce aussi une transposition du problème paternel ?

Quatrième dessin : Personnage en pantalon bleu du pays des médailleux. Au contraire, ici, le personnage est solide, logique, calme.

Cinquième dessin : Nathalie, par ce thème plus féminin de la fleur du désert tintinnabulante, retrouve sa liberté de dessiner et de créer (voir page 1).

Sixième dessin : Très belle réussite. Nathalie a dominé le sujet et rend ici tout le pathétique du personnage. Ce personnage de la tortue auquel les petites filles se sont tout de suite identifiées.

Septième dessin : Nathalie maintenant retrouvé toute sa joie et sa rapidité de création. Elle revit l'histoire sans trop se préoccuper de ce qu'elle a vu : les bateaux de la pièce, créés par des garçons étaient pointus, criards, violents. Ici, on se croirait en gondole sur un rêve d'amour. Dessin un peu rapide néanmoins (cf. les bonhommes).

Huitième dessin : La dame du pays des médailleux. Bon dessin Mais l'on est quand même loin de magnifiques créations libres de Nathalie.

Neuvième dessin : Nathalie es fatiguée. C'est un dessin dans lequel il faut surtout noter l'importance du soleil, reflet des difficultés de la fillette avec son père.

Dominique

10 ans.

Garçon moyen. Paresseux. Retard scolaire d'un an. Famille accaparante, étouffante.

Le dessin de Dominique est habituellement faible. Son thème favori le bonhomme affreux, transposition du père. Nous le retrouvons ici. Il a pourtant choisi un thème doux de la pièce. Son deuxième et dernier dessin est de la même veine.

Alain

8 ans 4 mois.

Elève moyen, sérieux, agréable. Faible en dessin et création. Bonnes qualités pratiques, sensible et scrupuleux (à noter dans le premier dessin).

Deuxième dessin : Essai de perspective assez valable. La mer l'a beaucoup ému.

Troisième dessin : Le tracé est faible, plus faible qu'en production libre, mais l'espace est assez bien rempli (voir aussi page 15).

Maurice-Henri

10 ans 9 mois.

Enfant très intelligent. Equilibré. Déjà cultivé. Un an d'avance scolaire.

N'aime pas la création artistique où il réussit pourtant assez bien mais il a été très vite confronté avec des recherches libres abstraites qui ont, me semble-t-il, asséché sa spontanéité de création (retrouvée quelques mois après). Se plaît dans le travail manuel, la recherche abstraite mathématique et historique.

Sens logique développé. Sensible. Légèrement perturbé par un frère plus âgé auquel il voudrait s'identifier.

Pour ce garçon, qui a pris un grand plaisir à la pièce et aux difficultés à vaincre pour la dessiner, le tracé général est bon et guère en retrait de ce qu'il fait habituellement.

Premier dessin : Il choisit un des passages centraux de la pièce. Les décors sont bien équilibrés. Il y a une tentative vers un rendu de profondeur. Le dramatique de la situation est bien restitué. Les éléments décoratifs montrent bien le caractère « technisant » du garçon.

Deuxième dessin : Dessin magnifique. Ce premier jet, repris ensuite dans une autre technique, comme nous le faisons faire souvent dans nos classes pour magnifier les productions, ferait merveille. La girafe à deux têtes de la pièce a étonné beaucoup d'enfants. Mais M.-H. est réaliste et il a vu « le truc ».

Troisième dessin : L'arbre-sorcier : une belle mécanique.

Quatrième dessin : Encore un très beau dessin, bien que le trait ne soit pas sûr. La maigreur, la grandeur, l'air absent du berger de la pièce sont bien rendus.

Claudie

9 ans 2 mois.

Enfant très intelligente, douce, calme, gentille, travailleuse. Dessine bien. Elle a littéralement bu la pièce. Elle en était encore tout éblouie le lendemain.

Premier dessin : Nous avons tout de suite un très beau dessin, bien mis en page, où l'arbre n'arrive même pas à se masculiniser, où seule la tortue a quelques griffes.

Deuxième dessin : Jérôme est encore là. Claudie a beaucoup admiré Jérôme.

Troisième dessin : Claudie est très régulière et un peu lente. Mais elle ne nous donne que de belles choses. Elle a été la seule à dessiner cet épisode et donc à se projeter dans la femme de l'arbre-sorcier. Il est vrai que celui-ci n'apparaît guère méchant.

Quatrième dessin : L'arbre-sorcier traversera-t-il la mer ? Beau dessin où l'intensité dramatique est bien rendue. Claudie est certainement le seul élément de la classe qui ait su si bien rendre l' « atmosphère ».

Linda

10 ans 1 mois.

Enfant d'une intelligence passable. Gros retard scolaire. Famille nombreuse. Enfant très complexée : jalouse, accaparante, hypocrite. Dessine merveilleusement bien en expression libre.

Premier dessin :  très nette régression. Sans parler de l'inquiétude présente en ce dessin, on peut y déceler des détails intéressants : la spirale ; c'est une découverte que Linda utilisera beaucoup par la suite.

Deuxième dessin : Bon dessin. Travestit le berger en femme. Remarquer la position incohérente de la deuxième tête de la girafe.

Mais Linda ne s'est guère intéressée à ce travail.

Pascal

9 ans 4 mois,

Très intelligent, solide, orgueilleux, coléreux. Réussit scolairement très bien.

Dessine peu. Attiré par bricolage et sport.

Premier dessin : A d'abord admiré le singe et son agilité.

Deuxième dessin : Un gros travail peu convaincant.

Troisième dessin : Jérôme. En fait, le portrait dessiné habituellement par Pascal.

Bruno

8 ans 2 Mois.

Intelligent, sérieux, travailleur, mais très nerveux. Equilibre psychique précaire. Constitution faible. Ecrit mal. Pas d'idées créatrices. Dessin habituellement très faible. Père paralysé : l'enfant a mis plus d'un trimestre à s'adapter à une autorité masculine dans la classe.

Premier dessin : Bruno retrouve ici ses habituelles représentations schématiques : marins, gendarmes, policiers, guerriers qui, ajoutées à de nombreuses figurations phalliques, montrent bien l'insuffisance paternelle.

Deuxième dessin : Arbre peu agressif. Personnages, signes phalliques. On retrouve les mêmes préoccupations.

Bien entendu, nous aurions pu entreprendre cette étude, non pas verticalement, mais horizontalement : étudier tous les dessins représentant la même scène. Cela aurait pu nous amener à d'autres réflexions.

Troisième dessin : Les animaux. Bruno a fourni là un gros effort. A noter la girafe et l'escargot.

Quatrième dessin : la même pauvreté subsiste. L'enfant prend pourtant plaisir à dessiner. A remarquer l'absence de visages.

Cinquième dessin : Bruno a été étonné du nombre des projecteurs dans la salle. Il les a d'ailleurs comptés.

Brigitte

9 ans 9 mois.

Enfant moyennement intelligente. Paresseuse. Rendement faible.

Très sensible (crée souvent de très belles poésies). Enurétique. Sent mauvais.

Dessine bien. Travaux pourtant souvent malpropres. Ses dessins sont très stéréotypés : elle ne possède que quelques techniques de représentations dont elle ne se détache pas, mais qui la sécurisent.

Premier dessin : Très nette régression du trait. Marque nettement l'opposition arbre-tortue.

Deuxième dessin : En net progrès. Il est vrai que Brigitte a choisi un thème qui lui est cher : personnage féminin de face, grosse tête, grands yeux, bras et jambes à peine formés. De fait c'est Jérôme qu'elle n'a pu transcrire en garçon.

Troisième dessin : N'arrivant sans doute pas à exprimer ce qu'elle a vu au théâtre, elle se réfugie dans son thème familier légèrement transposé en poupée.

Beric

10 ans 5 mois.

Que de choses il y aurait à dire sur cet enfant ! Sa vie, son milieu sont déjà tout un roman... Il est intelligent, dessine bien. Il est sensible et plein d'inventions.

Premier dessin : Le trait a régressé. Mais d'emblée, le dessin de Béric raconte. Plusieurs scènes sont juxtaposées.

Deuxième dessin : « Les villageois ». Régression encore nette.

Troisième dessin : « La fleur du désert ». Dessin inachevé.

Pascal

10 ans 11 mois.

Encéphalite à trois ans. Resté perturbé et instable. Intelligent et travailleur. Peu de résistance physique et intellectuelle. Dessine très peu. Trait très faible.

Premier dessin : Ici pourtant, le dessin est assez bon. L'arbre, bien qu'imposant, n'est guère méchant.

Deuxième dessin : Pascal s'énerve déjà et ne cherche qu'à s'exciter davantage.

Conclusion

Au terme de ces notes, voici ce que l'on peut avancer

- La connaissance de l'enfant est indispensable pour pouvoir comprendre le dessin d'enfant.

- Le dessin dirigé semble toujours en retrait esthétique et significatif par rapport à l'expression libre.

- Les « projections » d'ordre psychologique se coulent plus malaisément dans un dessin dirigé et gênent donc la compréhension du dessin et par conséquent celle de l'enfant lui-même.

- L'habituel argument : « à dix ans, les enfants ne dessinent plus » ne semble pas valable (cf. tableau ; l'étude de ce tableau est intéressante). Sur ce sujet, qui est très important, la Commission Art Enfantin entreprend une série d'études qui devrait, nous l'espérons, apporter quelques éclaircissements. C'est un problème très complexe.

J.CAUX

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