La rue est à nous

Depuis plusieurs années, il existe une tradition à Martin et à Bratislava : un jour par an, une rue est interdite à toute circulation et réservée aux enfants qui peuvent dessiner à leur aise sur la chaussée. Après deux ou trois heures, un jury décerne des prix offerts par des entreprises locales.

Cette tradition, bien dans la ligne de l’expression libre, s’est répétée cette année dans un grand nombre de villages.

Permettez-moi de traduire trois lettres de pédagogues organisateurs :

Mme Hoplecho, Palais de Pionniers, Bratislava :

« La participation des enfants a été très grande pour trois raisons :

- il faisait beau temps ;

- les enfants étaient informés que le plus beau dessin serait destiné à notre circuit «  boule de neige » ;

- la télévision slovaque devait faire des prises de vues.

« Les dessins sur la chaussée étaient d’une valeur artistique plus grande que ceux faits sur papier. Pourquoi ? Parce que les enfants n’étaient pas limités par le format du papier et que le fond sombre de la chaussée faisait ressortir les couleurs des pastels et des craies. »

Mme Vesela, institutrice à l’école primaire du village de Hrinova :

« Nous avons fait pour la première fois cette manifestation. Tous les enfants de notre village y ont participé ».

M. Vongrej, Directeur de l’école artistique à Martin.

« C’était la huitième fois cette année que le dessin libre descendait dans la rue, invitant toute la ville à y participer.

« Les élèves de toutes les écoles élémentaires et secondaires participent à la compétition. La municipalité se met à la disposition des organisateurs pour faciliter leur tâche au maximum. Les entreprises locales, les fabriques, le théâtre de la ville et la maison de la Culture ont collaboré en offrant des cadeaux aux enfants qui ont eu le plus de succès.

« De bonne heure le matin, les instituteurs-organisateurs ont préparé les lieux, ont délimité les passages de piétons. Ils ont distribué les papiers et les craies, ils ont préparé les rafraîchissements pour les enfants. Les enfants arrivaient avec leurs parents et leurs grands-parents.

« Des feuilles d'enquêtes ont été distribuées aux adultes. Un bulletin avec les noms des enfants récompensés a informé les habitants de notre ville des résultats du concours. »

Résultats de l'enquête de Martin :

58 personnes ont rempli le questionnaire : 10 personnes âgées de 20 ans, 42 entre 20 et 50 ans, 6 de plus de 50 ans.

28 personnes sont venues exprès pour accompagner les enfants ou pour l'intérêt qu'ils portent à l'art enfantin.

20 sont venues par hasard.

Tous ont considéré que cette manifestation était éducative et profitable, surtout pour les enfants. La plupart des adultes en ont vu l'importance :

- C'est l'occasion de développer le bon goût, le sens esthétique, l'intelligence (22 personnes) ;
- l'occasion d'un choix futur pour les écoles artistiques (4) ;
- une amélioration possible dans les résultats scolaires (3) ;
- donner audace et confiance en soi (3) ;
- apprendre à dominer les grandes surfaces (2) ;
- exprimer sa fantaisie (2).

Seulement 6 personnes pensent que cette manifestation est d'une importance égale pour les adultes, pour la ville, pour la société, parce qu'elle éveille l'intérêt pour l'art enfantin chez les adultes aussi bien que chez les enfants non participants.

53 personnes sont d'accord pour récompenser les meilleurs dessins, 5 sont contre.

Plusieurs conseillent de récompenser tous les participants, et pas seulement les meilleurs.

A la question : « Est-ce que vous avez aussi dessiné sur les murs ou sur la chaussée quand vous étiez enfant ? » 39 personnes ont répondu positivement, 19 négativement. Quelques-unes ont ajouté qu'elles ne possédaient pas de couleurs dans leur enfance, et qu'elles dessinaient avec une baguette ou des cailloux sur le sable et dans la poussière.

A la question : « Voulez-vous essayer maintenant de dessiner quelque chose ? » 28 personnes ont répondu non, 26 oui « mais à condition que ce serait sans témoin », de peur d'être ridicules devant leurs enfants. 14 personnes n'ont pas répondu.

A la question : « Quelles sont les oeuvres qui vous plaisent le plus ? », la plupart des gens ont répondu : « Celles qui sont terminées. »

Nous étions curieux de déterminer l'intérêt des adultes pour la peinture et les dessins d'enfants, et notamment de savoir quelle importance ils accordent à cette activité ; s'ils n'aperçoivent, dans les dessins, que le griffonnage, ou s'ils y découvrent une valeur artistique ; si cette manifestation ne touche que les enfants, ou si elle concerne la société toute entière.

En Tchécoslovaquie, il existe un grand intérêt pour l'art enfantin. L'Etat, le Ministre de la Culture et le Ministre des Ecoles, mais aussi les comités populaires et la télévision lui accordent une attention et une aide importantes. Il existe des écoles artistiques au premier et au second degrés, et des cercles artistiques. Mais l'on n'y pratique pas toujours l'expression libre. Les motivations et les jugements appartiennent souvent à des conceptions surannées.

C'est là que je vois ma tâche apprendre aux hommes à comprendre l'importance réelle du dessin libre enfantin. J'ai autour de moi un petit groupe d'instituteurs qui ont compris et qui collaborent avec moi. Je souhaite et j'espère que leur nombre augmentera et qu'un jour tout le monde comprendra.

Dasa KMOSKOVA

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