L'éducation artistique

... Eh bien ! personnellement, cette éducation artistique, je l'ai toujours souhaitée (et pour tous) parce que j'ai souhaité que soit vraie, à la surface entière de la Terre, cette pensée d'un félibre, que j'avais tant aimée, adolescente :

« Luise ce qui est beau,

Et que le laid se cache ! »

Cette notion, dans son sens le plus universel, le plus cosmique, le plus essentiel de la vie (la beauté me paraît part intégrante de la vérité) car il ne saurait être d'accomplissement humain qu'harmonieux, même et surtout quand se déchaînent au monde des forces qui, dans le perfectionnement technique que chaque jour apporte, semblent faire régresser l'esprit de l'homme et, encore plus, son coeur.

On peut couper en quatre les cheveux de la dialectique, à propos de la beauté, en quatre ou en mille, peu me chaut : on ne pourra jamais supprimer cette aspiration au fond de l'être humain, car elle lui apporte, s'il y est perméable, les instants les plus purs et les plus profonds d'apaisement et de plénitude.

Alors, laissons à ceux qui croient avoir du temps à perdre, les subtilités de la plume et « formons les bataillons » de ceux qui agissent. Dans le cadre étroit et pourtant si vaste de l'enseignement primaire, leur public est l'innombrable cohorte des enfants du peuple, qui se presse et se pressera encore longtemps à leur porte d'école, pour y apprendre « les rudiments »... Les rudiments de quoi ?... d' « apprendre à devenir », à devenir des hommes et des femmes capables, je l'espère de tout coeur, de faire de leur vie une marche en avant.

L'éducation est une et indivisible et ne peut, sous menace de lèse-humanité, laisser de côté l'éducation artistique dans ce petit être sensible si riche de promesses, « plein comme un œuf » mais seulement aux yeux de ceux qui savent briser la coquille des interdits et faire appel à ses facultés de création.

Non, je ne parle pas dans le vide l'enfant, seul, et « occupé à construire son monde », chantonne : le rang, les bras croisés, les coups de règle sur le bureau, lui ont clos le bec... et transforment la mélodie en jacasserie stérile. Mais que le maître apprivoise sa couvée, que le magnétophone s'installe accueillant dans un coin de classe, alors renaissent la mélopée, l'antienne, la mélodie...

   

Et ce n'est plus la peine, maintenant, de dire et de redire que la petite main, livrée à elle-même, scribouille, et puis dessine, passe des graffitis à une élaboration de plus en plus pure, ou de plus en plus riche, à la recherche de son propre style, si le temps du tâtonnement lui est donné, si l'accueil du maître lui est offert. La même ébauche, la même évolution se retrouve dans l'invention gestuelle, la danse libre...

Mais que pleuvent les interdits, que se profilent à l'horizon les sacro-saintes lois de la Technique, de la Règle, du Modèle de l'adulte, c'est la stérilité qui s'installe, et seuls surnagent « les doués » dont le rôle de pointe n'est pas à proscrire, dans la société d'adultes, mais qui creusent un fossé entre eux et la « masse », parce que justement, les « autres », on les a trop vite relégués au rang de béotiens.

On peut bien ensuite béer au génie des noirs qui-possèdent-le-sens-inné-du-rythme, des hommes du Bush australien qui-ont-le-don-inné-de-la-décoration, evivva l'art brut qui rehausse les galeries, et le safari-photos où l'on va retrouver à grands renforts de croisière les danses primitives !

« La forêt précède l'homme, le désert le suit... » Cela ne serait-il pas vrai des dons de l'homme que l'homme a éteints non en érigeant ses Conservatoires, mais en voulant ériger les règles de la création artistique ?

N'y aurait-il pas un autre rôle à faire jouer à ces Conservatoires, dont le nom rappelle un peu trop la conserve ?

Celui, précisément, de la suite à donner à l'éveil des sensibilités, à l'accueil des personnalités, tels que les pratiquent les maîtres qui s'honorent d'être « d'Ecole Moderne ‑ pédagogie Freinet » c'est-à-dire ceux qui, par une méthode naturelle d'enseignement, montrent à l'enfant qu'ils croient en lui, lui offrent de vrais outils de grands, lui donnent, contre vents et marées, le temps de l'accomplissement du geste, ou de la pensée, et le laissent accéder à ses paliers personnels, à son ascension individuelle, jusqu'à l'achèvement de l'oeuvre (je n'ai pas dit « du chef-d'œuvre » car je ne juge pas) qu'elle soit musique, geste, graphisme, peinture.

L'oeuvre c'est-à-dire cette mise au monde, à laquelle chaque être humain devrait avoir droit, puisqu'elle lui permet de se projeter, d'être, c'est-à-dire de participer à son propre univers.

Cette conception de « participation » de l'enfant, puis de l'adolescent,emploierait peut-être enfin les forces ascensionnelles de la jeunesse, non comme un torrent s'engouffrant de force dans la porte étroite concédée par les adultes, mais comme une marée montante, préparant un avenir où l'humanité cesserait d'être un troupeau bêlant, sous la houlette d'une minorité qui ne la considère souvent que comme une masse de consommateurs (quand ce n'est pas de consommés !).

Mais qui dit « marée montante » ne dit pas forcément « forces dévastatrices », au contraire : pourquoi pas une force « marée-motrice » ?

Si le maître du primaire était, comme il est en pédagogie Freinet, le compagnon, le conseiller technicien, en restant l'éducateur, si le « Professeur d'art » du secondaire descendait de sa chaire pour, lui aussi, faire oeuvre d'éducateur au lieu d'enseigner seulement la technique où il se spécialise, alors se développerait pour l'adolescent une sorte de continuité, d'unité dans l'action et la création, où serait moins grand le fameux hiatus des « teen-ages ».

Dans une émission à la TV très intéressante, « Les Chemins de la Vie », un professeur de dessin disait : « Il faudrait que notre collègue du primaire soit plus technique, ou alors assisté d'un conseiller pédagogique spécialisé pour l'éducation artistique... »

Eh bien, moi, simple maîtresse d'école primaire, je mets cette sympathique collègue plus diplômée que moi en garde : je crois que c'est au professeur à venir s'initier à cette « pédagogie » sans barrière... et je le dis parce que j'ai longuement discuté avec plusieurs professeurs de Lycée, en particulier un Belge, une Brésilienne, une Canadienne, sur la « production » artistique de mes propres élèves. Toutes souhaitaient avoir la clé magique qui déliait les langues, les doigts et le coeur de mes « petites » elle n'était pas loin, cette « clé » !

   

Elle était dans l'environnement qui fait comme un halo de confiance, d'amitié, d'épanouissement autour de l'enfance, de l'adolescence, un halo de vie.

Qu'on fasse changer leurs conditions de formation d'abord, d'enseignement ensuite ! Tout professeur ne devrait-il pas être à la fois maître-à-penser, et maître-à-agir ? Cela suppose une équipe, un atelier, au lieu d'une cohue anonyme de 600 élèves par semaine.

Mais il faut savoir ce que l'on veut : L'éducation artistique d'un peuple entier, ou le gaspillage des élèves et des maîtres ?

Quand verra-t-on les musées abaisser les escaliers monumentaux (que l'on n'ose pas monter en bleu de travail) au niveau de nos kiosques à journaux, et s'ouvrir à l'heure où les gens cessent de travailler ?

Quand verra-t-on les Maisons de la Culture repousser leurs fauteuils au profit des praticables où les jeunes (et les moins jeunes) s'exprimeront aussi de temps en temps, au lieu de toujours laisser s'exprimer les autres ?

Quand ?

... Quand on aura laissé au coeur de l'être humain l'envie de participer à la création, donc de mieux comprendre ceux qui se sont exprimés, comme des amis du temps passé, ou du temps présent.

« J'ai été frappé, me dit un ami, de voir, à Belgrade, les gens acheter des reproductions et des revues d'art, les accrocher chez eux et puis chercher à savoir qui était celui qui « avait fait ça », dans de très simples brochures, puis dans des livres plus gros, et passer des peintres facilement accessibles à des expositions plus complètes, et, entrer, ouvriers et paysans, aux musées... »

« C'est pareil en Pologne où, à l'entrée des concerts, on vend des partitions, car le public peut les suivre ! »

   

Toilette de la France, chefs-d'oeuvres en péril, sauvegarde de l'artisanat, sauvegarde des sites, autant de S.O.S. isolés auxquels la voix des enseignants devrait se joindre pour lancer son cri d'alarme puisqu'ils prouvent qu'au niveau du quotidien il n'y a aucune prise de conscience collective de notre premier patrimoine artistique - le plus simple, et le plus essentiel : le cadre de notre vie.

Education artistique ? Education permanente ! Permanence des valeurs les plus sûres qui « élèvent un peu l'homme au-dessus de la bête... »

L'éducation artistique ? Une conscience claire du potentiel de création des jeunes qui nous sont confiés...

...Un refus de laisser plus longtemps écraser les « disciplines artistiques » se prévalant de la créativité, de l'invention, de l'imagination...

...Une conception pédagogique plus ouverte qui ferait de « l'histoire de l'art » un chapitre permanent de l'histoire-tout-court, au lieu d'être une étude souvent pédante et isolée...

...Un enseignement artistique qui serait éducation au lieu d'être discipline trop rigide, et coupée des autres...

...Une reconversion des « dossiers d'art », enfin moins chers et plus lisibles (genre B.T. d'Art, j'espère !) qui seraient dans toutes les mains de nos élèves, et dans toutes les bibliothèques...

...Des ateliers de création aussi bien pour les jeunes que pour les adultes et que les vieux, dans leur retraite forcée (ces enfers...).

...Des écoles où de nouveau, un peu partout, l'on sente battre le coeur du pays, cessant d'être de mornes bastions isolés de la vie et qui sachent donner elles-mêmes l'exemple d'un haut lieu artistique.

...Des maîtres, enfin, du primaire ou du secondaire, conscients que l'être humain ne peut maintenir sa dignité d'homme que s'il est éduqué « à part entière » et non sacrifié à une simple exigence de main d'oeuvre

Est-ce impossible, à qui le veut vraiment ?

Paulette QUARANTE

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