SIMPLICITE DE LA VOCATION ARTISTIQUE

Quand il nous arrive de visiter quelques-unes de nos Ecoles Modernes, c’est toujours pour nous un réel plaisir : nous en retirons, mêlée à de multiples impressions, une notion neuve de travail joyeux, d’ambiance fraternelle, de spiritualité non pas suspendue à des hauteurs spéculatives, mais de tout venant au niveau de l’âme pure de l'enfance.

Dès le seuil, on est surpris comme l’est un voyageur par un spectacle inattendu au détour d’un chemin. Ici, rien ne peut être suspecté, tout se livre et se délivre sans arrière pensée. Les peintures chatoyantes qui font chanter les murs ne sont pas là pour une fête des yeux exclusive et qui ferait oublier les incohérences apparentes de la vie scolaire de tous les jours. Elles sont les enluminures du chantier vivant qui ne va pas sans nécessaire désordre, où chacun s’affaire à la besogne choisie, où le dialogue entre maître et enfants ne cesse de s’amplifier jusqu’à l’instant où les patiences unies vont toucher le terme de l’œuvre définitive.

Assis, debout, allant, venant, chaque enfant porte sa charge comme l’abeille son pollen. Un tel spectacle, qui ferait sursauter un inspecteur habitué à l’immobilité d’une classe « disciplinée », nous ravit d’aise. On y sent passer une communion d’amitié et d’effort bien émouvante ; les individualités y font bloc vers un devenir permanent qui, d’heure en heure, prépare un enrichissement appelé, attendu par les âmes ferventes. L’art n’y tient que la place qu’on lui octroie dans le branle-bas de la vie surprenante qui déferle comme une marée au rivage du gai savoir. S’il est présent sur les murs, ce n’est pas à la manière d’un musée-nécropole. C’est parce qu’il est art vivant, ferment et parfum de la moisson du moment, puissance de lumière globale qui ne se soucie pas plus de hiérarchies que le soleil éclairant le monde. C’est un fait naturel.

Ce n’est pas en effet une des moindres trouvailles de notre Ecole Moderne d’avoir découvert, à travers l’épreuve de la pratique, que la création artistique, loin d’être une activité exceptionnelle, est un fait courant qui témoigne, sous une forme un peu plus raffinée, de l’étonnante aptitude créatrice de l’enfant. Si des degrés de valeurs s’y instaurent, c’est sous l’effet d’une mise à l’épreuve lucide et d’un quotidien de personnalité un peu plus subtil que celui qui préside d’ordinaire à toute habileté manuelle mais qui reste de même essence.

S’il n’en était pas ainsi nous n’aurions pu aboutir à ce grand mouvement international d’Art Enfantin qui nous donne sans interruption un sentiment de sécurité et de confiance dans nos démarches éducatives. Devant nous coule le flot joyeux qui se prodigue en expositions circulantes à travers nos provinces et souvent à travers le monde. Notre revue Art Enfantin cueille les œuvres les plus originales d’une production sortie de l’expérience vive de nos écoles. Et de la quantité sort la qualité, avec ses marques les plus rassurantes, répondant toujours à notre attente et légitimant à chaque pas nos nobles patiences. On ne pourra plus désormais parler de mission éducative sans que s’éveille, dans l’esprit de tout éducateur digne de ce nom, la fresque des œuvres enfantines qui fait chanter la cimaise de milliers de classes

Elise FREINET

(L’enfant Artiste)

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