De la terre à la lune

Quinze petites filles sont allées rêver. Quinze petites femmes sont allées au marché, au marché des rêves, en passant par la route invisible des voyages extraordinaires, la route qui va de la Terre à la Lune.

Et, au retour, elles ont dressé la table avec leurs provisions de rêve, et sur le papier terne la nuit sombre est venue s'étendre comme une belle nappe veloutée.

Chacune a déposé son offrande à coup de crayons bariolés. Voici le croissant de lune, banane géante aux reflets dorés, mordorés, banane-mandarine, côtelée, irisée ; voici les fusées rondes et triangulaires aux flammes chevelues, vertes comme des plantes sous-marines, et mille et mille étoiles en forme de coquillages célestes, ciselées comme des bijoux, en chapelets comme des colliers.

Quinze petites filles ont rêvé. Quinze petites sorcières ont décrit dans le ciel de leur rêve des cercles magiques. Et dans le cosmos réinventé, autour des fusées, autour des étoiles, autour de la lune, tournent les rondes insolites des poupées lilliputiennes aux robes en cosse de petits pois, aux yeux ronds et verts comme des petits pois, et dans le ciel s'allument et s'éteignent, ça et là, des engins cosmiques, fabriques cerfs-volants, miraculeux messagers des rêves enfantins. Et voici recréés le ciel et les étoiles, et les rondes astrales, et les mondes invisibles, par quinze petites mains de Pénélopes inconnues, pour arriver à cette tapisserie somptueuse où quinze rêves font une seule symphonie.

Matisse aurait aimé cette richesse orientale, cette décoration minutieuse... et envié peut-être ces sortes d'étoffes persanes dans lesquelles les petites mains ignorantes ont comme taillé leurs poissons volants, leurs fusées mystérieuses.

Un raffinement de détails colorés s'unit aux joyeux éclats de rire d'un ciel en folie où, fantaisie d'un jour de carnaval, le soleil farceur grimace derrière le chapeau à rubans du fou du roi, tandis que la lune se cache sous une casquette à festons rouges.

Et chacun a son masque d'étoile ou de fleur, même la maison qui porte, avec désinvolture, sur le côté, un masque vert en forme de clair de lune. Même les chiens ont revêtu leurs déguisements de cosmonautes avec des casques à grelots. Le monde, vu d'en haut, est bien sûr à l'envers: la maison, les pieds en l'air, porte sa cheminée comme une botte.

 

 

Et, pour secouer enfin l'ennuyeuse uniformité des choses, les fleurs poussent sur le front des hommes, les avions tendent la main, dans un escargot de velours brodé un enfant s'envole dans le soleil, ce sont les arbres qui habitent les maisons, les étoiles clignent de l'oeil, et, aux murs gris du vieux monde, hardiment repeints à neuf, les enfants semblent avoir accroché, avec leurs pinceaux, les lanternes multicolores du bonheur.

Mais, figés dans leurs costumes pailletés, comme des clowns en parade à la porte du cirque, les hommes de demain, ces cosmonautes inventés par des âmes d'enfants, passagers clandestins de l'avenir, nous attendent au seuil de l'inconnu comme à l'aube d'un jour de fête.

Mlle COURVILLE

Peintures des écoles de Ragon-en-Rézé et Château d'Aux (L.A.).

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