Le dessin de l'enfant : THERAPEUTIQUE spontanée

Maurice Pigion, docteur en psychologie

En même temps qu'il exposait, dès 1913, qu'un diagnostic précis pouvait être établi en ce qui concerne les schizophrènes à partir de leurs productions graphiques ou plastiques, Rorschach découvrait que les gribouillages, dûment analysés, se présentaient vecteurs de symboles expressifs. Aussi, vers 1928, l'Ecole psychiatrique anglaise envisageait qu'une thérapeutique par le dessin, la peinture, le modelage, était susceptible d'application pour les .enfants atteints de troubles psychiques (1). En France, Sophie Morgenstern obtenait, en 1927, le succès qu'on sait dans la démutisation d'un garçon de onze ans, Robert L. : cure psychanalytique demeurée classique. Le dessin en constituait l'essentiel (2). La contribution du dessin fut précieuse puisqu'il remplaçait, à l'origine tout autre moyen de communication et de contact entre le médecin et le jeune malade.

Trude Traube (3) notant que le dessin libre n'exprime pas seulement l'intelligence, mais une prise de position affective, ajoute que les vertus du dessin comportent en outre une fonction capitale : une fonction de libération. « ... pour tout enfant, le dessin est un moyen inconscient d'expression, ou même d'abréaction ».

 

   

Madeleine Rambert (4), si habituellement remarquable dans l'étude de l'âme enfantine, juge que :

« Le dessin n'est pas seulement un moyen d'expression, il facilite la prise de conscience des conflits ; il permet de plonger plus profondément dans l'inconscient de l'enfant ; il favorise l'abréaction de l'affectivité ; il permet une catharsis surprenante...

Il nous indique aussi les essais de sublimation des tendances instinctives ».

Sa thèse s'étaie solidement à partir de nombreuses expériences Même opinion de Jouhy, psycho-pédagogue très informé, traduite dans la revue Pour l'Ere Nouvelle, du groupe Français d'Education Nouvelle, 5-1949, p. 7. « Il (le dessin) traduit davantage la structure psychomotrice du dessinateur et le complexe socio-psychique qui est à la base de ses besoins et de ses désirs que les qualités objectives de la classe représentée. C'est précisément le caractère subjectif du dessin infantile qui lui confère sa valeur de témoignage. Etant jeu, le dessin est non seulement un document, mais il constitue également un moyen d' « abréaction », de projection au dehors des tensions psychiques accumulées qui ne trouvent pas de mode d'expression « légal » dans la vie quotidienne de l'enfant, De cette façon, il acquiert, comme tout jeu, une valeur thérapeutique ; car l'essentiel de toute psychothérapie nous semble résider dans l'organisation, la symbolisation, et, par là, dans l'assimilation ou l'expulsion des résidus importants qui s'accumulent dans les couches profondes du psychisme sans pouvoir se couler dans les réactions quotidiennes de l'enfant ».

   

En bref, l'expérience de nombreux auteurs tendrait à prouver que l'expression graphique libre, partant d'éléments non structurés, suscite l'extériorisation des pulsions, des sentiments d'insécurité, d'anxiété et, ajoutons-le, déclenche parfois les instincts agressifs. Elle permet au psychologue, au thérapeute, ou à l'adulte informé, d'établir une approche naturelle, une distance favorable avec l'enfant et aussi la précieuse verbalisation qui explicite et éclaire les symboles personnels.

Auxiliaire de choix pour le diagnostic, la libre création graphique s'est révélée l'être également au niveau de la thérapie par simple libération instinctive chez l'enfant pour qui cette forme imagée de l'expression est aussi une extraversion médiatrice communicable à autrui.

D'ailleurs, il faut que la communication s'établisse, il faut que l'adulte se intéresse au dessin produit et présenté, il faut qu'il prouve à l'enfant qu'il en comprend l'essentiel. Comme l'écrit Madeleine Rambert : « Il se lasserait vite de dessiner pour nous s'il se rendait compte que nous ne comprenons pas ce qu'il exprime par ses dessins » op. cité p.131

   

Les difficultés, les conflits, les blocages ainsi objectivés, de strictement personnels qu'ils paraissaient au sujet, et comme tels très gonflés en valeur subjective, s'amenuisent en se transposant et finissent par être acceptés comme assez banaux au contact des autres membres de la communauté, eux-mêmes aux prises avec leurs problèmes.

Car l'adaptation au groupe dépend de la représentation que l'individu - ici l'enfant - se fait de sa propre personne par rapport aux autres. Suivant la théorie adlérienne, les difficultés ne surgissent que dans le cas d'une insuffisance ressentie et non compensée. L'enfant, qui se sent sur le même plan que ses condisciples, et non en état d'infériorité, ne doit présenter aucun symptôme de trouble du caractère. La médiation par le dessin est donc tout naturellement favorable. Elle dédramatise certaines situations.

 

 

Il n'est pas jusqu'à l'écriture qui ne permette d'établir un portrait caractérologique, de vérifier l'évolution d'un trouble chez l’enfant, voire de constituer une thérapie excellente comme l'a démontré R. Trillat, graphologue-expert au Centre Claude Bernard à Paris (5) qui a mis au point une technique aussi rigoureuse qu'efficace, ou A. Lecerf et G. Mialaret qui avaient travaillé dans le même sens, avec le même esprit (6).

(1) Prof. Enrico Fulchignoni : « L'art thérapeutique moderne » in « Le Courrier », revue Unesco, mai 1959, p. 26-27
(2) Dr Sophie Morgenstern : « Psychanalyse infantile - Symbolisme et valeur clinique des créations imaginatives chez l'enfant ». Ed. Denoël, Paris 1937.
(3) Trude Traube : « La valeur diagnostique des dessins des enfants difficiles » (arch. de psychologie, n° 103 - 1937, p. 285-309)
(4) Madeleine Rambert : « La vie affective et morale de l'enfant ». Ed. Delachaux-‑Niestlé, Neufchâtel, Paris 1945.µ
(5) a) R. Trillat et H. Masson : « Expérience de graphothérapie en psycho-pédagogie » Ed. Vigot Frères, Paris – 1957.
b) R. Trillat : « Comment enseigner l'écriture ou Art et psychologie de l'écriture » Ed. Bibl. pédag. F. Nathan, Paris 1958.
(6) A. Lecerf et G. Mialaret : « L'écriture et la connaissance des enfants », Ed. Bourrelier, Paris 1951.

« Cette psychothérapie graphique entraîne des conséquences importantes en ce qui concerne le travail scolaire, et contribue ainsi à l'amélioration de l'ensemble du comportement' et des relations de l'élève avec ses éducateurs ».

(G. MAUCO)

   

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