Jean-le-Bon

Je voudrais être Jean-le-Bon.

A lui, au moins, une voix chère disait :

- Père, gardez-vous à droite !

- Père, gardez-vous à gauche !

Et c'est à nous, en ce début d'année scolaire, que je souhaite pareil bouclier de clairvoyance et d'amour.

A nous qui partons, tous ensemble par le coeur, mais séparés encore, chacun sur notre « sentier de guerre » qu'est notre lutte quotidienne pour la libération de l'enfant.

   

« Quelle est, me dira telle gentille camarade qui riait jadis de mes articles, quelle est cette inquiétude qui te pique comme une mauvaise mouche ? »

La conscience soudaine qu'un danger venu des quatre vents menace notre oeuvre, au moment où, justement, c'est une belle oeuvre.

Et avec l'amour et la jalouse observance du paysan qui soupèse les épis lourds de riz ou de blond froment, je souhaite que les éducateurs se penchent sur cette poussée de sève enfantine pour la faire vivre et pour la protéger.

Maintenant gagne en ampleur et en magnificence le champ coloré et rutilant des belles peintures, des tentures, des céramiques d'enfants : elles sont à même de mettre un peu d'humanité sur les murs des HLM - elles sont à même de s'intégrer à la patine hiératique sur les murs du Palais des Rois de Majorque.

Elles sont surtout à même de porter le regard du « magister » plus loin que le béton anonyme de l'école, plus loin que les uniformes cahiers d'écoliers : jusqu'à l'horizon vibrant, et encore insoupçonné de l'âme enfantine.

Pourtant, aux kermesses de fin d'année, les petits napperons continuent à étaler leurs tortillons 1925 et, au certificat d'études, se dénude l'indigence de l'expression antiartistique des candidats.

Pendant que dans d'autres expositions où les doigts menus ont modelé l'argile et fait chanter des émaux de lumière sur les poteries, l'on entend encore, sporadiquement :

« ... eh bien, à Prisunic... c'est moins cher, et ça ne se casse pas !... »

   

Il n'est donc pas né encore, au-dedans et au-dehors de l'école, ce respect de la petite fleur de beauté, qui peut illuminer le monde en mettant de l'or sur les grandes lignes, et sur les petits détails !

Père gardez-vous à droite !...

Et, pendant ce temps, se dessine avec sa résonance publicitaire le snobisme du dessin d'enfant mis à toutes les sauces.

... Un fabricant de foulard voulait (en 1950) acheter toute notre production enfantine, et nous, pauvres pourtant parmi les pauvres, dans notre école de campagne, qui peignions sur les revers des emballages de pâtes alimentaires, nous avions refusé, indignées par cette atteinte au droit sacré des gosses de chanter sans lucre, comme sur l'arbre des forêts, chante le « Rossignol-de-mes-amours », parce que c'est son destin à lui de chanter.

Maintenant tel magasin de luxe livre en rideaux et en tapis les dessins des gosses et appelle ça... le « naïvisme ».

Et la liste en serait longue de cette exploitation, de ce mercantilisme qui paraît être la rançon du succès.

Père gardez-vous à gauche !...

Et nous sommes là, tous ceux de,bonne volonté, avec nos yeux clairement ouverts à ces menaces, là pour faire éclore et pour protéger, un peu vestales de l'enfance.

Mais l'enjeu en vaut la lutte.

Que triomphe, comme une belle promesse d'avenir, et de juste milieu, cet Art Enfantin qui est notre joie de vivre, tant y brille, riche, le regard des gosses, qui, eux, n'ont d'autre ambition que d'être « le cueilleur d'étoiles aux mains pleines ».

Paulette Quarante

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