Dessin de l'Ecole Freinet - Vence 06

LE CONGRES INSEA

PRAGUE 1966

INTERVENTION DE M. CAUX

Mesdames, Messieurs, nous sommes heureux, Madame Vrillon et moi de présenter ici l'Ecole Moderne Française.

Cette Ecole Moderne animée par Elise et Célestin Freinet et mise en oeuvre par des milliers d'éducateurs maintenant convaincus de ces idées-forces - naguère révolutionnaires - que sont l'expression libre le tâtonnement expérimental l'enfant-artiste l'autogestion à l'école.

A l'Ecole Moderne, nous sommes d'abord des praticiens qui oeuvrons dans nos classes avec les enfants et à même la vie. Aussi nous ne nous demandons pas si l'éducation par l'art est possible ou non, nous qui la vivons chaque jour et qui plaçons l'expression artistique au centre même de notre enseignement.

   

« L'Art résume la Vie » a dit Elie Faure ; et la vie entre à flots dans nos classes ; aussi avons-nous toujours été confrontés avec l'art et l'expression artistique.

Il faut avoir vécu ces instants d'éternité auprès d'enfants créant, il faut avoir vu l'oeuvre naître rapidement et sans à-coups des mains de l'enfant sûr de lui, comme l'eau jaillit de la source, claire et régulière, pour être persuadé de la valeur pédagogique de l'expression libre.

L'enfant-artiste ? Mais c'est un fait. Il suffit de le regarder, d'avoir su l'envelopper d'une chaude amitié retenue pour, d'un seul coup, recevoir sa consécration dans la joie qui se lit dans les yeux de l'enfant et dans la magnificence de l'oeuvre étalée là, et maintenant resplendissante.

En éducation, nous pensons que la meilleure « méthode » est celle qui se rapproche le plus de celle des mamans. Toutes les mères du monde savent apprendre à marcher et à parler à leurs enfants. Comment font-elles ? Elles attendent d'abord que leur enfant ait envie de marcher, qu'il essaie de marcher, et là, elles l'encouragent du geste et de la voix, elles ne lui expliquent rien, mais le félicitent de ses premiers succès.

Inspirons-nous de cette démarche pour « organiser le tâtonnement expérimental de l'enfant dans un milieu riche et aidant qui lui offrira les fleurs parfumées dont il fera son miel. L'étude des règles et des lois ne viendra qu'après ». (C. Freinet)

Tout enfant normalement constitué, en bonne santé, placé dans ce milieu, est un créateur continuel, un travailleur infatigable. Pour lui, le jeu n'existe pas, il préfère travailler. Et pour lui, travailler, c'est créer, inventer. Il est alors capable de concentration, d'attention longue et soutenue. On ne le voit pas se fatiguer, mais sortir, l'oeuvre terminée, triomphant, « reposé, plein de vie, avec l'apparence d'un être qui vient d'éprouver une grande joie ». (Maria Montessori)

Nous organisons donc - autant que faire se peut, car en France les conditions de travail ne sont pas toujours bonnes - un milieu riche et aidant.

Un milieu riche. Il faut la nature d'abord. Une école à la campagne offrira toujours plus de possibilités qu'une école de ville.

Un atelier de travaux d'art séparé de la classe avec tout le matériel constamment en état, rangé et à la portée des enfants : du papier de différentes qualités et de différents formats dans des tiroirs ; des tables de travail ; un bon éclairage ; des peintures préparées à la palette riche, constituée peu à peu par les enfants ; des pinceaux de qualité ; des chiffons, des blouses de travail ; de l'argile molle ; de grandes boîtes à tissus et laines ; des morceaux de bois, des cerceaux, des tambourins, des instruments de musique fabriqués par les enfants pour la danse et la musique ; un magnétophone...

Un milieu aidant par la présence et l'action du maître. Action positive, c'est-à-dire pas d'explications pas de propositions, pas de leçons ; pas avant que l'enfant ait expérimenté tout seul longuement, ait tâtonné, se soit perfectionné, ait eu conscience de ses propres limites, ait échafaudé le plus possible d'acquisitions sûres.

Mais soutenir l'enfant dans sa création. Le féliciter souvent, même dans ses plus minimes victoires.

A ce titre, nous éviterons le pompier, la médiocrité, la copie servile.

Pour cette raison aussi, laissons-le peindre ce qu'il veut, modeler ce qu'il veut, danser ce qu'il veut, dire et chanter ce qu'il veut.

Et enfin laissons-le créer quand il veut.

Alors, il aura envie d'apprendre, il désirera s'enrichir par nécessité vitale, et, aiguillonné par la présence du groupe qui critique ou félicite, il voudra se surpasser.

Nous n'aurons plus qu'à lui offrir toutes les possibilités d'élargir son horizon : échanges interscolaires, fêtes, expositions, etc. L'enfant, enthousiasmé, montrera alors des possibilités insoupçonnées. Nous n'aurons plus besoin de l'arsenal désuet des sanctions, punitions, récompenses pour le voir travailler.

Nous voudrions faire éclater le carcan habituel à toute classe traditionnelle et ceci de la maternelle à l'Université. Il faut cesser de prendre les enfants pour des êtres inférieurs. Nous pensons, quant à nous, que l'enfant est capable dès le plus jeune âge de choisir ses outils, ses schémas de travail, d'exprimer un jugement, de gérer le groupe dans lequel il vit.

Nous voyons la classe comme un carrefour, un lieu d'échanges, de recherches, de mises au point.

L'enfant est naturellement artiste car il sait coordonner avec cohérence son minimun de perceptions et de moyens. Ce minimum dont il est sûr, dont il a fait cent fois le tour, qui est comme la fondation de sa personnalité. Il part d'une perception sensible du monde et c'est ce qui le fait autre (seuls les génies arrivent à retrouver cet état. Plusieurs ont dit leur émerveillement devant les oeuvres enfantines. C'est cette parole de Picasso qu'il faudrait méditer : « Jusqu'à 8 ans on est en pleine forme, après, on se prolong »). L'enfant part de la poésie du monde et l'exprime directement.

Ah, faire sortir l'enfant de ces geôles que sont devenus nos villes, nos buildings ! Lui montrer par des réalisations que notre civilisation ne doit pas être seulement et totalement planifiée et fonctionnelle, mais qu'il faut faire la part du rêve, préserver la poésie du monde. Dépêchons-nous de demander sérieusement aux jeunes leur avis, voire de prendre en mains leur travail et leur avenir. Ils nous bousculeront peut-être, mais tant mieux, et ce sera plus sain que de les subir beatniks ou hooligans.

L'homme de demain sera peut-être presque totalement libéré du travail asservissant ; que deviendra-t-il si nous ne lui avons pas montré à magnifier le véritable travail, à épanouir en lui le génie qui y sommeille ?

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