Tapis à la bouclette
Ecole de Pontenx - Landes

Le chant du monde

C'est la masse somptueuse et sévère du Palais des Rois de Majorque, qui cette année à Perpignan, enfermait dans ses murs de pierre et d'ombre, le « trésor » sans cesse enrichi de notre exposition et lui prêtait le grand silence de ses années accumulées, de ses bois sombres, de sa pierre nue.

Au coeur de cette ombre née de l'ombre, au sein de ce passé débordé de présent, dans ce grand allongement des vies successives, étirées de génération en génération, nulle part ailleurs, nos oeuvres d'enfants n'avaient encore brillé d'un tel éclat. Éclat secret, né de cette chaîne mystérieuse qui unissait ce jour-là, des centaines de vie disparues (dont les murs seuls portaient encore témoignage) à des centaines de vies d'enfants d'aujourd'hui, présentes elles aussi sur ces mêmes murs.

Même dans le brouhaha de l’inauguration, par delà les voix assourdies et lointaines des vivants, au centre de cette chaleur née de la foule, je retrouvais la qualité particulière de ces instants très délivrés où tout à coup, tout est : « Comme quand on a déjà vécu un instant à la fois très grave et très aigu !

Ô ce soleil parmi la brume qui se lève

Ô ce cri sur la mer

Cette voix dans les bois ! »


Céramique : Ecole Freinet

Ecole de Vénérieu - Isère

Et je n'avais plus qu'à me laisser porter par le chant secret de ces murs où une fois encore, se renouvelait le miracle de la vie, livrée nue, sans rature, sans accroc, avec seulement la passion de l'enfant, libre, ivre de la découverte de son monde, de sa terre et qui nous en dessine l'étincelant visage.

J'y retrouvais le grand souffle de l'univers, gardé en équilibre dans le sombre ballottement du monde, le grand souffle d'un univers presque oublié des hommes et recréé là par les mains préservées et actives de l'enfant, à travers la palpitation de l'eau, le froissement de l'air, la brûlure du soleil.

Oui, un univers, étalé, cousu, peint, collé, assemblé, brodé à grands pans de verts et de bleus, tout cela mêlé de laines et de jute et de soie et de bois et de papiers et de cartons.

Je n'avais qu'à regarder... L'ombre de la mer roulée sur la plage, le vent de la forêt sur la bruyère, le vert multiplié et unique du printemps, la splendeur immobile de cet arbre entravé, le secret de ce visage tourmenté, la paix de cet autre, la danse enroulée d'une fleur... Je n'avais qu'à suivre, à me laisser attirer par l'éclat voilé ou triomphant de chaque mur qui, à chaque pas, me retraçait l'éternelle histoire des vagues et du soleil, des fleurs et des arbres, de la nuit et du vent et du ciel dans un grand brassement de bleus et de gris, mêlés à l'éclat des jaunes, au déchirement des rouges, à la douceur des ocres.

La lumière haute des fenêtres entourait de sa chaude caresse le gris-vert des poteries, la tiédeur de leurs formes. La terre brute des bas-reliefs délivrait la note pure de leurs lignes sans défaut.

Je n'avais plus, encore une fois, qu'à me reculer un peu, pour mieux embrasser d'un seul regard, la salle entière, désertée maintenant, rendue à son silence et où soudain, tout s'apaisait en un subtil accord : le dessin fragile des grands bouquets blancs, la sombre lueur des lourds bahuts et les murs qui vibraient doucement, dans l'ombre, de toute la gloire de leurs couleurs.

Tout semblait arrêté, définitif, tendu dans une immobilité attentive.

Il ne restait plus qu'un étrange et chaud moment, pareil à la lourde étreinte qui monte de la terre et de la mousse, un jour d'été, moment qui à lui seul contient tout le chant du monde.

J. PABON-BERTRAND

   

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