Si tous les enfants du monde…

YVETTE, une enfant vivante, pleine d'imagination, jamais rassasiée de peindre, entre au Lycée à 11 ans. Elle avait eu, depuis l'âge de 5 ans, des réussites exposées à nos Congrès. je la voyais armée pour profiter d'un enseignement plus poussé du dessin. Au bout de 2 mois, je la revois :

« Alors, Yvette, ça va en dessin ?

Une moue significative...

- J'ai appris les couleurs secondaires§

- Bah, c'est à connaître... Tu verras, maintenant comme tout ira bien !

A Noël :

- Eh ! bien, Yvette, le dessin ?

La moue se fait plus dépitée, et je devine une indifférence naissante.

- J'ai appris à faire des dégradés ».

   
 

Le désir de dessiner, naturel chez le jeune enfant, demande, à cette période changeante de l'adolescence un accueil chaleureux, un soutien constant, un encouragement pour tout graphisme original tout essai personnel. C'est délicat sans doute, mais réconfortant de voir la palette qui s'enrichit, le trait qui s'affirme et s'assouplit, l'imagination qui se grise de ses trouvailles, se fait volubile et se veut personnelle.

Nombreuses sont les classes de grands qui nous offrent à chaque Congrès la preuve que le cap est passé et bien passé.

Je sais que le dessin d'observation est au programme. Dans nos classes primaires, on peut le situer en application des sciences naturelles. Pour les plus grands, après l'observation, pourquoi pas l'interprétation qui favorise la création ? Une feuille ne devient-elle pas chez Lurçat, magnifiée par sa poésie imaginative ?

Les moyens pour arriver à cet éclatement ?

Je les veux prendre dans l'expérience d'un ami belge, M. Jean Morette, professeur à l'E.N. de Couvin. Dans une interview, il nous explique ses difficultés avec des élèves de 16 ans qui ont oublié le travail de création.

« Je propose une activité sans fixer de sujet. Au départ, l'élève a tendance à refaire ce qu'il a déjà fait. Dans certaines écoles, on les oblige à copier des peintures... ils refont ce qu'ils ont fait ; ils ont de la difficulté à puiser dans leur imagination et à retravailler librement. Les ateliers divers les y aideront ; je respecte le rythme de chacun.

- Comment évolue le contenu des dessins ?

- Ceux qui n'ont jamais fait de peinture commencent par étendre de la couleur. On sent qu'ils font leurs expériences et ils se retrouvent devant un fond absolument abstrait. Par la suite, ils y reviennent et peignent quelque chose de figuratif, quand ils ont une certaine expérience de la gouache.

- Tiens ! Est-ce que la peinture n'évolue pas du figuratif vers l'abstrait ?

- Non, pas chez ces jeunes gens. Quelques uns s'imaginent que faire de la peinture c'est flanquer de la couleur n'importe où... J'essaie de leur démontrer que c'est une solution de facilité. On peut faire de la peinture non figurative mais en recherchant, en travaillant très sérieusement. Et celui qui volontairement s'y lance, je le suis de très près. je ne lui laisse abandonner sa peinture que très tard, je l'oblige vraiment à du travail bien fait. Il faut qu'il comprenne que c'est très difficile. On ne laisse le travail qu'après en avoir longuement discuté, y avoir longuement réfléchi. Un travail commencé on l'achève, c'est un principe.

- Est-ce que cet enseignement libre développe leur personnalité ?

- C'est une aide certaine... Ils reprennent confiance et goût à l'action même dans d'autres domaines. Ils ont un contact social très poussé entre eux, ils discutent d'un tas de questions en rapport avec leur peinture. Le matériel est collectif. Du point de vue humain, ils retirent beaucoup, et m'apportent beaucoup.

- Et du point de vue professionnel ?

- Je me heurte à des difficultés. Dans certaines écoles, on dit pratiquer le dessin libre : on donne du papier, des crayons, et débrouillez-vous ! Le rôle de l'éducateur est nul et l'élève s'arrête parce qu'il n'y a personne pour l'aider ; ou bien on fait du dessin d'observation, le cache poussière du maître, un parapluie, systématiquement et ce n'est pas adapté. Il faut introduire des activités variées et intéressantes où la part de création est plus importante.

- Quelles sont ces activités avec tes normaliens ?

- 1°. En fonction de l'école primaire : ils les apprennent et on étudie la façon de les introduire avec le maximum de chance (je cite celles que nous avons dans nos classes : le monotype si déconditionnant, les feutres, les encres de chine, les gravures sur zinc, sur lino, sur bois, les tapisseries, tentures, les céramiques, etc...)

2°. Celles qui sont spécifiques à leur formation propre la sérigraphie, la sculpture sur pierre tendre, sur verre cellulaire, sur siporex, sur béton, sur bois.

- Si l'expérience était à refaire ?

- Je la referais. Sinon j'aurais abandonné le métier, cela m'étouffait ! Maintenant, c'est divers, fonction de la personnalité de chaque élève. Pour moi c'est un renouvellement perpétuel.

Voilà donc une expérience d'expression libre qui prolonge la nôtre, en est un dénouement heureux et nous permet de conclure en faisant confiance à l'avenir. La graine semée a levé... La plante est déjà solide... Que de moissons, si tous les enfants du monde...

JEANNE VRILLON

 

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