ADOLESCENCE

POÈMES LIBRES

Notre vie moderne n'est pas tendre pour nos adolescents : jamais ils n'auront été soumis à autant d'obligations tyranniques que celles imposées par l'école, les examens, la famille. Jamais, par contre, le milieu social ne leur aura offert autant de prétextes, d'occasions à se divertir et à se gaspiller.

Ces contradictions ont quelque chose d'inhumain car, coûte que coûte, les adolescents doivent orienter leur personnalité dans des contingences qui les empêchent d'acquérir unité et décision. En eux s'éveillent des impulsions, des désirs, des duretés et aussi des émois, des tendresses qui s'entremêlent, se bousculent dans un complexe inextricable. Il y a un mal d'adolescence qui est déjà un mal de vivre.

Le fait angoissant est que les signes profonds de cette impuissance à se retrouver soient marqués d'une nostalgie souterraine du néant non décernable dans leur comportement chahuteur et leurs fanfaronnades, mais qui affleure dans leurs poèmes en une soudaine lueur de lucidité.

Ils ont alors l'impression non dissimulée d'assister à une sorte de décharge du malheur, à une éclosion vers un monde libéré. C'est ce qui transparaît dans leurs oeuvres poétiques qu'ils nous confient sans arrière-pensée, comme une catharsis salutaire.

   

MORT

Le jour où la mort le frappa,
Il l'attendait,
L'oeil vide,
La bouche amère.
Il savait que l'heure approchait.
Il regarda venir la mort
De son oeil vide.
Sa bouche aux plis amers esquissa un sourire,
qui creusait les rides
de ses joues.
Il la regarda sans haine,
Il ne la défiait pas.
Il lui aurait volontiers parlé
Du temps qu'il fait
De la hausse des prix,
Par habitude,
Par lassitude...
Et la Mort ne comprenait pas que cet homme au visage de cire
Soit si indifférent
Au moment de 1a suivre.

Freddo, 14 ans
Les Pionniers 21 janvier 1965

   

DESTIN

Une âme de plus est née
Un homme de plus vit sur la terre
Une joie éclate dans le monde.
Mais le pauvre aura un morceau de
Pain en moins.
Pourquoi ? pourquoi cela ?
Un coeur s'arrête, une vie s'en va
Une joie se fane, un homme naît heureux
L'autre malheureux, voulait vivre
Mais la mort ne pardonne pas
Pourquoi, pourquoi cela ?
Ils se battent, ils se tuent,
Où est la vie ? Je ne vois que guerre,
Pour un petit bout de terre.
Même pour jouer les hommes tuent
les petites bêtes qui grouillent,
dans les bois, dans la mer, dans le ciel.
Pourquoi, pourquoi cela ?

Henri, 14 ans
Les Pionniers, 23 octobre 1964

SEUL

J'étais seul,
Sans parents,
Vagabond,
Sans argent,
J'étais seul,
Sans amis,
Sans maison.
J'étais seul,
Avec ma vie,
Errant dans 1a nature.
J'étais seul
Sans courage,
Traînant mon ennui.
J'étais seul, sans volonté,
Perdu dans le monde.
J'ai trouvé dans man école,
des parents
des amis,
le courage,
la volonté
et la vie.

M. Fraudin, 13 ans

UN NOUVEAU MONDE

Capricieuse et orgueilleuse
Je suis arrivée dans un monde simple
De gens humbles et quelconques.
Les garçons ne sont pas élégants,
Les filles sans distinction.
Des têtes gaies se tournent
Des corps souples sautent et disparaissent
Dans le désert naturel de l'école.
Seule sur un terrain vague
De cailloux et de sable
Je pars dans une nouvelle vie,
Et je comprends les gens que je vois
Ils sont heureux !

Michèle, 13 ans 1/2

POURQUOI

Pourquoi le temps est-il contre nous ?
Pourquoi le vent s'est-il déchaîné ?
Pourquoi la pluie a-t-elle frappé ?
Pourquoi la vie n'est-elle qu'un rêve ?
Un rêve morne et nu
Un rêve sans importance
Comme la cime des sapins qui se balance au vent
Et au soleil.

Freddo, 13 ans

ROSE OU JEUNE FILLE

Seule, elle s'admire, respire, souffle
Et baille d'ennui
Elle danse, se balance, éclate
Explose et s'endort pour toujours.
Rouge, rose, orange, blanche
pure, elle vit intensément
puis elle noircit pour rejoindre
les ténèbres.
Petites, moyennes, grande, géante       
Elle grimpe dans la vie
comme la fleur du temps qui passe et repasse
dans le sable fin
des amours mortes.

Michèle, 14 ans

Télécharger ce texte en RTF

Retour au sommaire