A la découverte de

L'EXPRESSION GESTUELLE

« Les choses nous rendent regard pour regard. Elles nous paraissent indifférentes parce que nous les regardons d'un regard indifférent. Mais pour un oeil clair, tout est miroir, pour un regard sincère et grave, tout est profondeur ».

G.BACHELARD

Pour un observateur passionné et attentif, le spectacle d'enfants en liberté dans nos cours d'écoles maternelles peut être la base d'une réflexion profonde sur la pédagogie de l'expression gestuelle.

D'abord parce qu'il nous donne une vue d'ensemble lucide à la fois sur les intérêts véritables et profonds des enfants et sur leurs possibilités d'expression gestuelle. Ensuite, parce que, bien mieux que le langage, toujours suspect de contamination adulte, le geste est révélateur de la personnalité enfantine.

Vif ou lent, nerveux ou mou, brutal ou harmonieux, élégant ou saccadé, impulsif ou retenu, chaque geste spontané inscrit, dans sa courbe inattendue, le tempérament de son auteur. Et cela d'autant plus lisiblement qu'il se trouve confronté, dans un même jeu, avec d'autres gestes de même signification. De même un thème plastique unique traité par plusieurs artistes (ou par plusieurs enfants), fait éclater, par la confrontation des oeuvres, le tempérament de chacun.

   

L'un des jeux favoris de ce mois de juin, dans l'école maternelle où j'ai mon bureau, est l'exploration de la bande d'herbe sauvage et d'arbustes de la cour. Se rouler dans le foin, se tresser des couronnes, faire d'adorables bouquets de feuilles et de cerises vertes tombées là un jour de grand vent, cueillir les roses et les « lilas des chats », faire grimper des chenilles sur les manches ou les emprisonner dans le creux de la main, se hausser en sautant jusqu'aux branches basses des tilleuls, enterrer l'un des enfants dans le foin arraché, agacer les filles avec les feuilles d'herbe, organiser un défilé, les branches d'aralia servant de drapeaux et les longues herbes sur lesquelles glisse une feuille habilement enfilée tenant lieu d'instruments de musique, que sais-je encore !

Exploration du milieu et re-création des actions adultes qui ont le plus frappé l'imagination et suscité l'admiration (je ne mentionnerai que pour mémoire les courses pétaradantes d'autos imaginaires, mains au volant et corps projetés en avant, en arrière, virant savamment et freinant bruyamment) et déjà se décide cette curiosité et ce besoin de posséder en créant qui mèneront peu à peu l'enfant vers l'assimilation du monde proche, la maîtrise du corps et de la pensée, la connaissance et la culture.

Témoignage direct de la vie affective de l'enfant, le geste nous révèle la sensibilité enfantine dans ses élans les plus spontanés, les plus authentiques. Ainsi le bonheur d'aimer, la joie de vivre s'expriment pleinement dans les gestes d'offrande à la maman ou à l'éducatrice. Offrande de soi-même et de tout ce que le monde autour de soi peut apporter : fleurs, coquillages, plumes, cailloux, herbe, lumière, feuilles mortes et feuilles vives, sourires, baisers, caresses, gestes innés et primordiaux, de tous les temps et de tous les lieux, joie de découvrir et de donner, plaisir de créer, d'agir, d'être soi-même et quelqu'un d'autre, de partager et de s'enchanter ensemble des merveilleux pouvoirs du corps.

Mais pour que l'enfant prenne, à travers le geste, conscience de ses pouvoirs d'expression, et les épanouisse, il faut que ce geste soit accueilli et valorisé par le milieu social et que les sollicitations de l'environnement soient nombreuses et riches.

   

S'il existe un mot-clef en éducation, je n'en connais pas d'autre que le mot : échange. Je me souviens d'un spectacle qui m'avait beaucoup frappé. C'était à Naples, dans un jardin public couronnant un quartier populaire, un jour de vacances. Une maman est venue s'allonger dans l'herbe, accompagnée de quatre ou cinq enfants très jeunes. Une haie de lauriers-roses en fleurs attira immédiatement les petits qui, cueillant des branches fleuries, vinrent danser autour de leur maman, la taquinèrent de leurs fleurs, puis la voyant sans réactions, la couvrirent de ces rameaux. Et je rêvais à l'épanouissement de leur joie si la maman s'était prêtée au jeu. Je revoyais nos petits jouant ces mêmes jeux sur la musique de Vivaldi et je comparais la richesse de leurs gestes à la simplicité vite épuisée de ceux des petits napolitains livrés à eux-mêmes, sans échange affectif ni culturel avec l'adulte.

Nous devons à nos petits, non seulement cette confiance et cet amour qui sont accueil permanent, mais encore cette clairvoyance qui nous fait rechercher pour eux les vraies richesses, celles qui les accompagneront toute leur vie, qui sont formatrices de leurs goûts, de leurs désirs, celles qui sont capables d'élargir, d'équilibrer, d'harmoniser leur joie.

Nous entrons ici dans le domaine du choix fait par l'éducateur, pour les enfants, dans les innombrables apports du monde. Je pense que nous avons beaucoup mieux à faire que de laisser les enfants à leurs propres jeux, sans autres exigences que leur bon plaisir. Je suis toujours affligée lorsque je constate, dans certaines classes privées par exemple, l'indigence des dessins libres. Privés de toute sollicitation émanant de la vie communautaire, soumis par ailleurs à une pédagogie conformiste qui les rend totalement passifs, conduits vers l'apprentissage des mécanismes sans souci culturel, les enfants de ces classes laissés « libres », c'est-à-dire livrés à eux-mêmes au moment du dessin, ne donnent que des graphismes pauvres, toujours les mêmes (la maison, le bonhomme…), sans vigueur ni lyrisme. Là où manque la part du maître, cet engagement profond dans la vie de la classe et des enfants qui provoque les oeuvres et les mène, par ses exigences, jusqu'à leur plein épanouissement, mais aussi ce souci permanent de culture et d'équilibre, la source se tarit à peine née.

   

Quelle peut être cette part dans le domaine de l'expression gestuelle ?

Tout d'abord l'observation des jeux et gestes spontanés enfantins qui donne la mesure et le registre des possibilités et des intérêts, puis la mise en commun des trouvailles enfantines par la pratique journalière de la gymnastique et de la rythmique naturelles qui délient les corps et développent l'esprit d'invention gestuelle, enfin l'apport d'oeuvres musicales accordées à la joie de vivre enfantine, qui l'élargissent et l'équilibrent.

Je voudrais souligner, en particulier, l'importance du moment journalier de gymnastique et de rythmique pour l'acquisition de la maîtrise du corps, de l'aisance des mouvements et d'un vocabulaire-mimique important, qui sont les facteurs du langage gestuel.

Pour que nos enfants puissent mesurer leurs pouvoirs physiques et les exercer librement, nous mettons à leur disposition un matériel simple et collectif : bancs, pyramides, pneus, balançoires, filet à grimper, poutres d'équilibre, pas de géant, etc... Le tâtonnement expérimental puis la répétition jusqu'à prise de possession parfaite des gestes réussis jouent à plein leur rôle formateur. D'autre part, chacun est convié à tour de rôle, devant ses camarades, à mimer une action de son choix, souvent inspirée par le thème de vie de la classe, lui-même issu de la conversation et du texte libre, action commentée, discutée, imitée par l'ensemble de la classe. La maîtresse n'est nullement en dehors du jeu. Elle suit les rythmes au tambourin, elle propose elle aussi tel ou tel mouvement ou rythme, elle suscite et canalise les apports enfantins.

Ainsi chacun des jeux du cirque présentés lors du Congrès de Brest fut construit par la classe (maîtresse et enfants) après avoir fait l'objet de discussions, d'études et de critiques venant d'une confrontation mentale entre les spectacles vus à la télévision ou lors du passage d'un cirque et les jeux proposés par les enfants, L'évocation des souvenirs doit se préciser pour se plier aux nécessités du leu et celui‑ci se structure au fur et à mesure des trouvailles.

De plus le cirque fut vécu en profondeur dans tous les domaines de l'expression : expression verbale, parlée ou chantée, plastique, manuelle, graphique. Dessins, peintures, modelages, céramiques, tapisseries, textes s'élaborèrent en même temps que les jeux, enrichissant ces derniers de toute la puissance suggestive de la couleur, de la ligne, de la forme, du verbe, La musique, donnée en dernier ressort, soutint l'élan des enfants, régularisa leur rythme et amplifia leur jeu.


Photos Madeleine Porquet
   

Pour les nombreuses camarades qui m'en ont fait la demande, je donne quelques références musicales :
- les gymnastes furent joués sur l'air de La Réjouissance de Haendel (Royal Firework's music Erato LDE 3219) ;
- les fauves sur l'ouverture de la Royal Firework's music ;
- l'illusionniste sur l'aria de la Sérénade de Fux (concert de trompettes Mode, disques MDNT 9045, série internationale) ;
- les acrobates sur le premier mouvement (Allegro) du concerto en ré majeur pour deux trompettes de Corelli (même disque) ;
- les poneys et écuyères sur un air de Mouret (Carrousels et fanfares pour les soupers du Roy).
Dans un prochain article, je donnerai toutes précisions sur un jeu dramatique de grandes dimensions scéniques : l'offrande à la Maman.

Mlle PORQUET
Inspectrice des Ecoles Maternelles Brest (Nord Finistère)
(à suivre)

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