Vers de nouveaux chemins …

« Ça c'est un monsieur qui a dû le faire, dit Maria, quand je montre à la suite des dessins du circuit, la reproduction d'un Matisse ajouté au carton.

- Ça se voit, c'est bien fait, c'est pas débordé !

- Y'a des belles couleurs !

- Le fauteuil vert fait joli sur le fond violet, dit Dolorès.

- Il a bien choisi son vert, renchérit Catherine. S'il avait mis un autre vert à côté du violet, ça ne serait pas si beau.

- Moi, j'aime les fleurs jaunes parce qu'elles « font de la lumière » dans le coin ».

   

Il me faut l'aide de mes petites de CE1 pour entrer timidement dans ce monde toujours étonnant où le coeur se met à l'aise et qui pour moi est déjà le domaine de l'Art. C'est en les regardant peindre, en écoutant leurs réflexions, que depuis quatre ans, j'essaie, à leur contact, de recommencer mon éducation artistique manquée, jadis.

Que d'années perdues ! Que de découragement, après chaque Congrès ! Que de regrets devant toutes ces richesses vues et admirées, et notre impuissance à atteindre cet « inaccessible » Art Enfantin.

Oui, c'est seulement voilà cinq ans, qu'un jeudi de décembre, une visite à Crouy me fit connaître Jeanne, une Jeanne toute simple, s'activant au milieu de ses équipes, livrant à tous les secrets de ses réussites, établissant immédiatement avec nous, camarades d'un département voisin, des contacts humains sincères et vivifiants. Huit jours plus tard, c'était la première réunion régionale de Tours où Jeanne avait exposé dessins et tentures, et où, sous le flot de nos questions, elle nous donna tant de petits détails pratiques, tant de conseils et d'encouragements. Mais, de là à nos réussites propres, il y avait encore bien du chemin à parcourir.

Et comment le parcourons-nous, ce chemin ?

Tous ensemble, main dans la main, enfants et maîtres des circuits, soutenus et encouragés par notre guide si totalement à notre service, toujours disponible et confiante dans ses élèves petits et grands.

L'arrivée du circuit ! Tout le monde au Val-de-Loire connaît ce moment de grande joie: l'ouverture du carton, la découverte des nouveaux dessins des petits amis.

Si la joie des enfants est grande, que dire de celle de la maîtresse quand elle découvre à quel point les enfants savent voir juste.

Souvent, au premier passage, quelques-unes de mes élèves déjà déformées cherchent l'exclusif réalisme :

« Qu'est-ce que c'est là, dans le coin ? un chien ? »

«  Oh ! la poule, elle a la crête verte ! »

En début d'année, comme pour le Texte Libre, elles ne sont que quelques-unes à faire part de leurs impressions, mais à la fin !... Je me souviens, en juin de la 1re année des circuits, alors que devant un dessin je sentais confusément quelque chose qui n'allait pas, sans pouvoir le formuler, voilà ces petites de 8 ans prodiguant aux petits amis critiques et conseils si justes que j'en restais stupéfaite.

Le malheur dans nos écoles de ville c'est que chaque année il faille recommencer avec une nouvelle fournée, repartir toujours à zéro. Et pourtant non, pas tout à fait. Jeanne avait raison quand elle me disait : « Tu verras, chaque année tu repartiras une marche plus haut. C'est pour le dessin comme pour toutes les autres techniques ».

C'est vrai. Les démarrages sont moins pénibles, les cahiers de croquis plus riches chaque année.

Toujours se découvrent quelques mains plus sûres, quelques personnalités plus riches que l'on admire et qui, petit à petit entraînent la classe.

« Faites confiance aux enfants ; donnez-leur toutes les possibilités de s'exprimer librement. Soyez présente par votre coeur à leurs tâtonnements. Ayez la patience d'attendre. Laissez-les aller : ce sont eux qui pour finir vous guideront. »

Ces conseils si judicieux et si simple prodigués depuis si longtemps dans notre École moderne, ne seront jamais démentis par la pratique pédagogique la plus sérieuse, la plus exigeante.

Depuis quatre ans, je laisse mes élèves me guider. J’apprends en regardant leurs images toujours venues en spontanéité, l’originalité des choses « pas comme les autres ». J’affine ma sensibilité. Je compare, je médite et voici que, tout doucement, je suis participante de cette atmosphère de totale communion introduite dans ma classe par le dessin et je me sens emportée vers de nouveaux chemins.

DENISE POISSON

École Anatole France

Tours (I. et L.)

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