Choses vues de loin

l'enfant prestidigitateur

C’est dans vos écoles pauvres, qu'avec rien vous faites tout : un monde fantastique de créatures et d'arborescences qui toujours naissent pour la première fois. Et c'est parce que ces monstres ainsi engendrés par hasard ou par fantaisie ne ressemblent à aucun autre que sans cesse vous avez à votre portée une infinie réserve de genèse déconcertante qui nous console un peu de l'uniformité lassante de celle du Bon Dieu...

Et jamais d'échec pour le créateur, jamais d'hésitation pour la main dont on dit qu'elle ne sait encore rien faire, pour l'esprit dont on affirme qu'il n'est pas encore né. Et c'est bien là la grande leçon qui sort toute simple et franche de vos univers d'enfants : pouvoir tout créer sans avoir rien appris ! Etre toujours au commencement de l'histoire de l'homme ! Quelle situation favorable pour se préserver de cette passion funeste de tout apprendre pour pouvoir tout connaître qui a empoisonné la vie des humains de toute éternité. Savoir travailler comme le prestidigitateur qui avec grâce fait voler les colombes, courir les lapins et qui d'un foulard mis en pièces fait surgir un étendard... Rien de plus passionnant pour les yeux, rien de plus émouvant pour le coeur. Et, en soi, dans la surprise et l'étonnement, une dimension nouvelle : l'Illusion !!

G. SCHMIDT

     

et de près

le carré blanc

40, 41, 46... 48, 49, 50, 51.

... Non, je ne dévide pas la litanie chère au Cours Préparatoire ! Je dénombre simplement mes élèves du CE2 A, qui au fil des semaines se bousculent, se heurtent, s'agglutinent, s'entremêlent dans ma classe, dans un déferlement de cartables, de capuchons, d'anoraks, accompagné d'un grondement de marée montante.

Peu à peu, ils ont tout envahi : on a ajouté des bancs, puis des bancs bancals, puis des chaises : ils ont maintenant pris d'assaut mon bureau, et je me retrouve, « pauvrôte ! » (comme on dit dans ton pays, Delbasty), dans un coin où ma tête ne peut gêner le tableau, et où la cahier d'appel ne recouvre pas un cahier...

Et vous me demandez, Elise, de parler d'Art Enfantin !

Quand j'ai le coeur plein de massacres, de piétinement de mes espoirs, et des leurs.

… Des yeux ternes me regardent : les nouveaux.

Des yeux navrés me suivent : les anciens.

Des yeux battus m'épient : ceux qui vont in-ces-sam-m-ent (depuis 3 mois partir aux « baraques » (pardon ! « chalets »), et que je ne peux même pas choisir, puisqu'en février, on m'oblige de dégéminer, au lieu de me soustraire les derniers arrivés, alors que, cahin-caha, en broutilles, en brindilles, comme la chèvre de M. Seguin, on a quand même mordu à la sève d'Ecole Moderne, et que les coeurs se déchirent à l'idée d'abandonner :

l'espoir de peinture,

l'espoir de céramique,

l'espoir de poèmes,

que chacun portait en lui « pour quand on serait moins nombreux », et surtout, ce petit correspondant de l'Indre, devenu un ami avec qui on partageait déjà les chocolats, et les dessins, et les promesses de visite.

La maman de Patrick est venue me voir, et a pleuré sans honte :

« Vous avez guéri mon Patrick de son bégaiement, et maintenant, depuis huit jours, il recommence : depuis le jour où il a su que vous ne le gardiez pas ! »

Tout menu, fil à fil, s'était tissé un esprit Ecole Moderne : les doigts eux-mêmes se déliaient : quand un dessin, dans son petit, petit coin, naissait sur sa petite, petite feuille, un peu moins dur que le premier jour, un peu moins tiré au cordeau, la maîtresse chantait victoire, et vous encourageait d'un :

« Si les petits cochons ne te mangent pas... va, tu feras de belles choses », on riait un peu, et entre les jours de révoltes et les jours de colère, d'être ainsi anchois parmi les anchois, quand même, le petit bonhomme s'épanouissait.

   


St-Rémy-s/-Creuse, L. et C. - Monsieur Boussin

C'est ainsi que sont nés, sur des coins de table, des séries de dessins pleins de verve sur la Pizza à Marseille,

- des dessins pleins d'émotion sur la Provence d'antan,

- des autos-portraits pleins de charme (Béatrice) : « Je suis petite, je suis vive, j'ai du caractère ».

- et les poupées de chiffons, de soie, de fourrure, de laine, d'un peu tout le monde,

- et les poèmes de Charlie.

Mais la séparation d'avec les garçons approche, d'un côté les garçons de l'autre les filles.

« Sépare-t-on les soeurs des frères ? dit la maîtresse.

- Non, gronde la classe.

- On les aimait bien, les garçons, ils avaient des poings, mais ils inventaient des choses.

- C'est le mur de Berlin, tonne Daniel. Ça, j'y ai pensé hier soir, dans mon lit, et j'ai dit : j'y dirai à la maîtresse ».

   

Alors, chères collègues, chers camarades, cher correspondant, qui tous, terminez vos lettres, en disant : « Alors, entendu, à Brest... » comme on dit. « A tout à l'heure », avec la certitude de cette rencontre encourageante qu'est un Congrès, je vais par l'intermédiaire d'Art Enfantin, vous faire une prière. Si nous ne pouvons rien envoyer de grand pour l'Exposition, mettez quand même l'étiquette Notre dame limite, et dans cet espace vide vous y verrez, de vos yeux qui se souviendront peut-être de nos temps de richesse le fatal Carré blanc : « Ici, par la faute des adultes, toute joie interdite aux enfants ».

P.S. Il fallait un post scriptum, car quand les graines sont semées, le diable y serait, qu'il y en a bien quelques-unes qui germent...

Hier, dans le brouhaha qui a suivi l'installation de la 5e, la maîtresse, découragée, a dit. « Eh bien, travaillez chacun à ce qui vous intéresse... » Là-bas, dans le fond, près de cet amas de poussière qui s'est installé sur nos tentures, sur nos grands tableaux des années passées, là-bas où nul balai ne peut atteindre, à petit bruit dans le grand bruit de la classe, Ovidio a sorti son outil, et dans l'écorce de pin (enquête en cours), il a sculpté le plus joli petit berceau ancien (5 cm) et la maman, et le bébé. Rose a cousu le minuscule matelas de Vichy à carreaux roses, et Viviane a froncé du tulle sur le brin de fil électrique; et les trois petits, dans le brouhaha, souriaient.

PAULETTE QUARANTE


Improvisations décoratives - Ecole Maternelle de Sône (Isère) - Mademoiselle Busson

 

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