Ecole de Montech, T. et G. - Mademoiselle Favre

Le dessin
traduction d'un sentiment
d'insécurité agressive de culpabilité
ou reflet d'un style d'éducateur

 

   

A) sentiment d'insécurité agressive

Le dessin de la fig.1 représente un Monsieur et une Dame réalisés par Bernard, garçon de 10 ans, au cours d'une sieste dans une colonie de vacances, au lendemain de la Libération.

Une remarque s'impose : le parti-pris de l'auteur de salir, de rendre ridicules ses personnages adultes. La structure du dessin correspond à peu près à l'âge du sujet, mais il subsiste des reliquats attardés d'un stade infantile : vagues contours du ventre en transparence, nombril. La morve dégouline des nez, et les dents sont fortement marquées. Noter que le personnage masculin est plus petit que l'image féminine. Ce dessin laisse une impression pénible. L'auteur l'a voulu. Il s'agit d'une caricature, d'une charge dont les adultes font les frais, surtout l'homme aux gros souliers lourds de clous.

Le milieu familial

Bernard est le benjamin d'une famille qui a compté 8 enfants. Les deux frères aînés ont disparu. L'un a été fusillé par les Allemands, l'autre s'est noyé au cours d'une promenade en barque. La mère, grande nerveuse au bord de la psychopathie, surtout après les malheurs qui ont frappé la famille, entretient une constante tension avec les siens et avec le voisinage. Le père, plutôt falot, manque de l'énergie nécessaire pour ramener la quiétude au sein de la famille.

L'auteur

Bernard se présente relativement petit, avec le ventre proéminent d'un rachitique ; sa santé est médiocre. Peu sociable, il n'arrive pas à trouver une insertion convenable dans un groupe d'enfants. Inquiet, instable et opposant, il semble prendre plaisir à attirer sur lui les sanctions qui constituent comme son climat de choix. Pourtant, il aime à être pris au sérieux. A titre d'expérience, et pour rompre la série des punitions que ses moniteurs finissent par être obligés de lui infliger, il est décidé, en accord avec eux et avec lui, que Bernard sera responsable d'un service au réfectoire et qu'il aura l'autorisation de « travailler » une heure ou deux à la cuisine.

Peu après cette valorisation, les manifestations agressives cessent ; Bernard, que l'on pouvait croire de constitution caractéropathique parce qu'il créait régulièrement le conflit, réapprend la relation sécurisante avec les adultes d'abord, puis avec les camarades du groupe.

La valeur symbolique de l'enlaidissement par le dessin pourrait être interprétée ainsi :

1) Le milieu familial et singulièrement les relations avec les parents n'ont eu pour Bernard aucune valeur calmante et sécurisanté. Les querelles avec le voisinage, les punitions infligées à l'école, ont monté chez lui un mécanisme d'agressivité, d'instabilité, à base d'insécurité, qu'il a traduit à un moment donné par le dessin, ici très subjectif. Pour lui, le nez a été le symbole de ce qui est malpropre et dégoûtant. Ainsi il a exprimé son mépris de l'adulte et, si le personnage masculin est le plus chargé et minimisé par la taille, c'est sans doute parce qu’il regrette inconsciemment que son père ne fasse pas preuve de l'autorité qui ramènerait le calme et la quiétude.

2) Les adultes ne lui ont pas apporté la sécurité, au contraire, ils semblent s'être ligués contre lui pour le rabrouer, le gifler (la mère a la main très leste), le punir. Leur agressivité trouve son expression par les dents très nettement indiquées. La valeur symbolique des dents est étudiée par J. Boutonier dans son beau livre sur L'Angoisse (1). Elle voit une tendance agressive dans « le simple fait de se nourrir, à partir du moment où il faut se servir des dents et mordre, puis mâcher pour manger... tendance agressive, dont l'existence est évidente puisqu'elle peut exister seule dans la morsure ». (page 255).

D'ailleurs, le parler populaire dans les expressions : « avoir la dent dure », « déchirer quelqu'un à belles dents », « avoir une dent contre quelqu'un », « montrer la grosse dent », ne peut prêter à confusion. Pour Bernard, un milieu plus compréhensif et moins coercitif devrait obtenir de lui une meilleure adaptation.

M.Pigeon

(1) J. Boutonier « L'Angoisse » Ed. PUF Paris, 1945

Télécharger ce texte en RTF

Retour au sommaire