Aérium de Clermont-en-Argonne ( Meuse)

Peindre et connaître

- Il est banal de penser que le problème unique qui agite les hommes, ceux des siècles passés, ceux des temps modernes, ceux du devenir, que ce problème soit exclusivement celui de la Connaissance.

Qu'il soit plus ou moins conscient, qu'il se pose à des hommes plus ou moins éduqués, plus ou moins « civilisés », le but en reste le même : chercher à reculer les limites de la vie et de la mort en soulever le mystère, savoir le commencement et la fin et les raisons et les moyens, cerner tous les problèmes de la vie : la naissance, la mort, les maladies, la terre et le ciel et la mer et l'espace, tout ce qui, intimement brossé, lié, entoure l'homme de toutes parts, tout ce qui le sollicite, exige de lui une recherche sans cesse remise en question, un engagement de plus en plus exclusif, de plus en plus passionné.

Il est alors étrange de penser que nous autres scolaires, ayons si lourdement abâtardi ce « problème‑source » qu'est le problème de la Connaissance. Surprenant est le fait que nous en ayons perdu le souffle et l'envolée et la merveilleuse liberté qui aurait rendu à tous nos « besoins » leur clarté universelle.

Par quel phénomène aberrant, avons-nous assujetti le monde libre de la Connaissance, à nos propres mesures plus commodes, plus rassurantes ? Comment l'avons-nous enchaîné au banc étroit « des connaissances » enfermées dans le cercle parfait de nos vanités et de nos facilités ?

Et nous avons tout oublié : la passion de tout ce qui vit et respire, notre égalité devant la vie, face à ce commun et dévorant besoin de « découverte ». Découverte qui nous lie tous et nous rend tous semblables : celui qui, dans son jardin délivre la vie de ses semences, celui qui fait naître, celle qui enfante, celui qui désagrège des molécules, celui qui bâtit un pont, celui qui fabrique une chaise, celui qui capte la chaleur du soleil et celui qui conduit un camion.

Oui, « problème-source » que la recherche de « la Connaissance » qui englobe la terre et l'espace et les hommes vivants, et le passé et les siècles à venir.

   


Ecole Freinet

Qui pourrait avoir l'orgueil d'en détenir la priorité ou d'en assurer le privilège ? A chacun elle offre sa part non en fonction de « son intelligence », mais seulement de ses « possibilités » de vivre, de ses « talents » propres.

Celui-là, qui n'est pas capable de résoudre l'abstraction d'une donnée mathématique, pourra peut-être « connaître » la rugueur épaisse du béton, le plein équilibre d'un mur parfait, celui-là contemplera la vigueur éblouissante de son champ de blé, l'harmonie souple d'un tissu, l'éclatement d'un blanc pur sur sa toile ou le modelage lustré de son moteur.

C'est parce que nous avons perdu le sens premier de la découverte et de la Connaissance que nous avons perdu le levain qui « sanctifiait » notre travail. Nous l'avons privé aussi de son caractère « sacré » et pluralisé, codifié, étiqueté, vulgarisé, il est livré à nos enfants sans qu'il ne soit plus possible désormais d'en discerner son vrai visage. L'homme infaillible n'a plus le courage de garder les yeux grands ouverts sur cette Connaissance exigeante qui lui demande sans cesse une évolution continuelle, une compréhension, une adaptation sans cesse remises en question, une terrible humilité, un perpétuel recommencement et un enthousiasme, une passion sans partage.

En priverons-nous aussi nos enfants ? Je pense surtout aux plus démunis, aux plus déshérités par la forme actuelle « des connaissances » scolaires. N'auront-ils jamais part, ces enfants, à cette découverte de la vie, à la recherche de la connaissance, ne pourront-ils pas en connaître la soif et l'allégresse secrète et l'éternelle quête ?

Quels moyens plus simples, plus audacieux aussi plus « élémentaires » que le dessin et la peinture, quels autres moyens leur permettraient-ils mieux d'arriver à cette communication, à ce partage, à cette recréation directe, brutale de la vie ?

Oui, vivre la vie de leurs seules mains, d'un blanc et d'un violet, faire étinceler un arbre, d'un trait, sentir l'inquiétude de ce visage, étaler cet orangé et redonner la chaleur du soleil, assembler là, sur cette feuille et les formes et les surfaces et l'ombre et le soleil, et l'espace, oui, quels autres moyens donneraient à ces enfants une part meilleure de la Connaissance ? La part entière qui leur assure, ne fut-ce que quelques instants, une merveilleuse royauté : celle de se sentir en partage avec la terre, avec les hommes, celle de participer « en direct », à l'éternelle découverte de la vie.

MME BERTRAND‑PABON

 

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