Ecole de Perfectionnement - Lausanne - Madame Ducraux

Magie de la couleur

Les peintres orientaux ignorèrent longtemps la perspective italienne qui permet de recréer sur la toile l'image de la réalité objective. Ils lui préférèrent une perspective, qu'avec juste raison, A. Lhote, le grand théoricien de la peinture, appelle « la perspective du cœur ». Cette manière admirable permet de donner à l'objet la place qu'il occupe, non dans l'espace, mais dans le coeur. Elle nous a valu des dessins et des toiles remarquables, où toujours la sensibilité le dispute au charme et à la couleur.

Ainsi semble peindre l'enfant qui désire affirmer la propre vision de son jeune univers.

Tout récemment, à Codalet, j'ai visité l'exposition annuelle des travaux de la classe de Madame Vigo. La première gouache qui s'offre au regard du visiteur est bouleversante tant elle est saturée de délicieuse candeur. Le sujet est inhabituel : un jeune visage en pleurs. L'auteur a donné aux larmes la forme et la couleur de pétales de fleurs. Peut-on imaginer une manière plus poétique pour traduire l'éphémère chagrin qui précède la joie ?

 

 

Chaque dessin est un monde merveilleux de lignes et de formes incontrôlables qui s'anime, intrigue et toujours nous émeut.

Dans quels souvenirs d'univers engloutis, les sept ans de Maryse ont-ils puisé l'inspiration pour nous offrir ces extraordinaires oiseaux au plumage déconcertant ? L'enfant, dans sa fraîcheur de Petit Prince garde-t-il encore un déterminisme inconscient hérité de vies antérieures vécues sur les planètes chères à Saint-Exupéry ?

Dessins, gouaches et céramiques débordent d'une imagination sans frontières. Les tapisseries sont d'une sobriété qui peut atteindre la grandeur. On ne se lasse pas d'admirer et de s'étonner, mais toute analyse est impossible. Le monde de l'enfance garde jalousement ses secrets. Il serait fou de tenter de les percer.

Tout peintre, face à une palette d'enfant, se trouve désorienté et confus. L'audace dans l'interprétation de soleils monstrueux le laisse stupéfait. La plus modeste fleur, celle qui l'émouvra par la délicatesse de ses coloris, peut rivaliser en grandeur avec l'arbre dont la masse restera anonyme. Quant un enfant dessine un visage, ce sont les yeux, source de lumière, qui retiennent toute son attention. Ne nous étonnons pas s'ils font tout le tour de la tête.

L'enfant peint pour affirmer sa conception d'un monde qu'il ignore cruel. Son oeuvre authentifie une personnalité qui déjà s'affirme dans une image précise.

Ecole Maternelle des Prés Hauts - Tonnerre - Madame Dhenain
Ecole de Bignaux, Vienne - Mademoiselle Ruez

 

Ecole de Malville - Fred

Devant cette végétation exubérante dont je devine les parfums humides, devant ce monde ailé dont les trilles matinaux me deviennent audibles, un douloureux regret me serre le coeur. Mon enfance n'a jamais connu cette merveilleuse possibilité de s'exprimer par la couleur, pas plus qu'elle n'a connu cette chaude ambiance du travail d'équipe. (J'ai eu la joie d'assister à une longue séance de travail).

Certains doutent encore de la valeur pédagogique de la méthode de libre expression chère à Elise Freinet. Ils nient cet enrichissement permanent qui résulte d'une curiosité satisfaite, d'une intelligence en éveil, d'une liberté totale dans toutes les manifestations de la sensibilité.

Il est impossible que cette éducation ne porte un jour ses fruits, même s'il y a pour certains la cassure de l'adolescence, où, blessés par des égoïsmes, ils devront lutter pour s'adapter à de nouvelles méthodes. Ce qui importe, c'est que tout être garde toujours en soi le nostalgique besoin de l'émerveillement de ses jeunes années.

Plus tard, bien plus tard, quand avec plus ou moins de bonheur l'enfant devenu homme aura pris place dans la société, il sera parmi ceux qui recherchent les joies de l'évasion dans une nature accueillante. Nous le retrouverons émerveillé dans les galeries d’Art, attentif dans les salles de concert. Sa vie sera jalonnée de nobles émotions, nées de la compréhension du rêve du poète, de l'oeuvre de l'artiste. Souvent des forces mystérieuses le pousseront à pratiquer un art; car est-il plus beau violon d'Ingres que celui de retrouver intact, jailli du plus profond de soi, ce besoin de s'exprimer en créant une forme de beauté, besoin que chacun de nous aurait connu et assouvi dans son enfance, s'il n'y avait eu pour l'empêcher d'éclore l'autorité incompréhensive et formelle d'un instituteur chagrin ?

F. BRANGER

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