Histoire d'une tapisserie

Lors du Congrès des écoles maternelles qui s’est tenu à Brest en juin dernier, cinquante grandes sections des écoles maternelles de Brest ont présenté une tapisserie de vingt mètres de long, oeuvre collective de plusieurs centaines d'enfants de 5 à 6 ans. Cette oeuvre dont je voudrais vous conter l'histoire, est l'expression la plus heureuse, la plus vivante, la plus riche de la vie quotidienne de ces petits. Pour moi, elle est le symbole de notre volonté commune de faire vivre tous nos petits d'une vie à la fois paisible et riche, équilibrante et rayonnante dont les jours puissent se tisser au rythme des saisons, s'approfondir autour des émotions premières, s'enraciner dans la douceur un peu triste de notre terre, de nos ciels toujours changeants, s'évader vers l'Océan qui nous environne de toutes parts, se réchauffer des joies et du labeur des hommes afin qu'imprégnés peu à peu des « dures et douces lois » de la condition humaine, nos enfants assument joyeusement leur destin de petits d'hommes. Notre tapisserie, oeuvre anonyme de centaines de mains malhabiles, mais de coeurs chauds et d'esprits inventifs, a d'abord pris naissance en nous les éducatrices qui, au fil des jours, regardons vivre nos petits, les écoutons, les observons, essayons de retrouver la source profonde des émotions, de suivre nos enfants dans leurs découvertes de chaque jour, d'accueillir et de valoriser leurs expériences, de leur donner les moyens pratiques et techniques de s'exprimer et de créer de toutes les façons possibles, par le geste, la parole, le dessin, le chant, la peinture, le modelage, la danse, de partager au sens le plus profond du mot leur vie de chaque jour.

Avec eux, redécouvrant le milieu dans lequel ils baignent, nous nous sommes émerveillées de cette spontanéité créatrice qui les projette vers l'oeuvre à réaliser, vers la re-création d'un monde à la fois réel et imaginaire, naturellement poétique et émouvant, tout ensemble vécu et rêvé.

Nous avons également désiré traduire la vie communautaire de nos classes, cette vie où toutes découvertes, toutes joies, tous projets sont mis en partage, où chacun avance à son rythme, soutenu et épaulé, parfois projeté au-delà de son allure propre par ce nouveau groupement humain bien plus ouvert que la cellule familiale, ce climat de confiance, de joie créatrice et d'aide réciproque par une oeuvre collective qui serait la réplique sur la toile de la fête que nos petits offraient au Congrès et dont le thème était le plus simple et le plus beau de tous : l'offrande à la maman.

Ce thème nous a été suggéré par ces premiers gestes d'offrande si émouvants dans leur forme la plus fruste  feuilles mortes en bouquets sombres tendues à bout de bras vers l'éducatrice au long des journées d'automne, pétales d'arbres fruitiers recueillis au printemps dans le creux des deux mains, bouquets, dessins, coquillages qui alourdissent chaque jour les poches de nos petits et sont offerts avec tant d'élans et de grâce naïve.

C'est de ce geste premier accueilli et valorisé que nous sommes parties. Cette offrande première, nous l'avons élargie à toute la vie de nos petits. Elle a été le lien qui a noué leur vie à la nôtre, leurs découvertes de chaque jour à notre désir de les élever, leur joie de créer à notre joie de les aider à prendre conscience de leurs forces et des éléments de leur vie.

   

Le milieu marin qui est le nôtre constitue le premier volet de la tapisserie : Brest, son grand pont qui se lève pour laisser passer « La Jeanne » et son port de commerce avec sa grande grue ; un petit port de pêche où le bateau de Tonton Yves est amarré près des lourds filets où s'entassent les poissons ; la pêche en mer toute miraculeuse ; les jeux sur la plage préludent à l'offrande, sous forme de coquillages, d'algues, de poissons, d'étoiles de mer, de cette première prise de possession de la mer, à la maman.

Notre ciel breton est constamment animé du vol des mouettes, goëlands, oiseaux de mer et oiseaux des champs, qui, eux aussi, suscitent l'intérêt constant de nos enfants. Le deuxième volet de notre tapisserie raconte cette vie des oiseaux toute liée à celle de nos petits : les oiseaux des champs viennent se percher sur la maison et dans le jardin du bord de mer, cependant que mouettes et goélands plongent dans les vagues pour attraper les poissons ; sur la plage une petite fille donne à manger aux mouettes ; les oiseaux portent leurs petits sur le dos pour voler vers le soleil ; chaque branche de l'arbre porte son nid plein d'oisillons vers lequel vole la mère nourricière et protectrice et tout en haut de l'arbre le père se dresse au-dessus de la couvée ; cependant la maman portant son bébé sur son coeur reçoit paisiblement cette offrande d'ailes et les oiseaux viennent nicher sur son extravagant chapeau.

 

L'éclatement du printemps provoque chaque année chez nos petits un renouveau de joie créatrice. Leur jardin, troisième volet de la tapisserie, présente d'étonnantes trouvailles : brins de laine liés en bouquets, fleurs de camélias piquées autour de la boule de feuilles, arbre en forme de chandelier à sept branches. Sous le pont de fleurs encadré d'enfants se tient la mère à l'enfant, comme une idole primitive.

Et que dire du lyrisme des soleils, notre quatrième volet, soleils en fleurs, en feuilles, en nids d'oiseaux, en météores, et de cette maman toute auréolée de soleils qui promène allégrement ses jumeaux ?

Et enfin de cette charmante maman moderne, toute parée et froufroutante, tenant son bébé dans le creux des deux mains et recevant toute l'offrande du ciel, de la mer, de la terre !

Chaque enfant a, ici, apporté sa marque propre et inventive, tout en se soumettant aux exigences de l'oeuvre commune. Chaque classe a pris sa part de cette oeuvre tant pour l'élaboration du projet que pour la réalisation de la tapisserie.

Les dix-neuf maquettes de la tapisserie ont été choisies parmi les quatre cents projets présentés par les cinquante classes, projets réalisés collectivement par les enfants de ces classes eu découpage, collage libre et direct, sans tracé préalable, sur des feuilles de papier goudron aux dimensions de chaque fragment de tapisserie et au moyen de papiers de couleurs variées.

Les projets sont nés dans ces classes au fur et à mesure de l'approfondissement des thèmes déjà cités lors de l'apport de ces thèmes par les enfants eux-mêmes. L'expression orale, l'expression gestuelle, l'expression plastique ont été intimement liées et le projet de tapisserie fut l'aboutissement des différentes prises de conscience et de possession affective et mentale de l'objet sollicité.

Au dernier acte de l'aventure, la tapisserie a été la synthèse heureuse de la richesse du milieu, de la mise en commun des trouvailles enfantines et de la présence attentive des éducatrices, le message réconfortant d'une enfance qui se cherche et se construit et dont nous guidons par une tendresse vigilante la marche tâtonnante.

MADELEINE PORQUET

   

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