LE DESSIN

ET LA CONNAISSANCE

DE L'ENFANT

Examen de quelques dessins de famille

 

Pour illustrer mon propos du dernier numéro d'Art Enfantin, voici des dessins assez typiques obtenus à l'OPS de Nantes (1, 2, 3, 4) ou par moi-même (5, 6, 7, 8) :

fig. 1. - Garçon de 15 ans. Il s'agit d'une famille de chats. La mère est figurée en bonne place au milieu de la feuille. Deux petits sont plus bas.

Commentaire : « Sur la feuille, la mère chat se promène avec ses petits. Elle est à côté d'eux pour les préserver ».

Dans les faits : L'auteur, de niveau intellectuel limité au B.S. est un enfant naturel chétif. Pendant sa petite enfance, il a été très couvé par sa mère et sa grand-mère.

Le garçon avait été vu au centre d'OPS l'année précédente. Son dessin représentait déjà un gros chat avec un petit entre les pattes.

A la suite du premier examen, les conseillers d'OPS avaient recommandé à la mère de se séparer de son fils en le confiant, par exemple, à une colonie de vacances, puis, en cours d'année, de le faire inscrire dans un club sportif. Les conseils ont été suivis.

fig, 2. - Titre du dessin : « La famille pré du feu », garçon de 10 ans.

Au centre, à droite, une dame tend les bras.

En bas, à droite, un berceau,

Au centre, à gauche, une cheminée avec du feu.

A gauche, un petit enfant qui tend un bras.

La dame et le petit enfant sont face à face.

Dans la réalité :

le père, situation aisée, très assuré, est exigeant pour son fils,

la mère, très maternelle, tente d'effacer par son attitude générale la sévérité du père.

le garçon, 10 ans, possède quatre soeurs plus jeunes

L'interprétation du dessin peut être ainsi énoncée : le garçon a voulu marquer l'attachement mutuel de la mère et du fils avec exclusion du père et des autres enfants.

   

fig, 3. - Garçon de 14 ans.

Dans le dessin

- une maison

- un animal, un chien ou une chienne

- avec indication en transparence du tube digestif, et sans doute génital

- un animal plus petit derrière le précédent.

L'enfant refuse le commentaire.

Dans la famille :

L'enfant, aîné d'une famille de 10 enfants, a ses parents, mais il vit depuis l'âge de 4 ans chez une tante veuve qui n'a pour tout logement qu'une seule pièce avec un seul lit.

Le garçon est présenté par son instituteur comme ayant des conduites répréhensibles, vicieuses. Un an après ce dessin, l'OPS reçoit confirmation de certaines «  présomptions » par une enquête sociale.

fig. 4.

Dans le dessin - garçon de 15 ans et demi.

Le père, sans bras, à gauche, regarde son fils.

Le garçon, sans bras, à droite, avec un ballon.

La cage du gardien de but avec son goal et un autre ballon (narration graphique).

Commentaire : « C'est papa qui a été surpris du but que je viens de marquer ».

Dans la famille :

Le garçon est débile léger, timide et inhibé.

Le père, autoritaire et cassant est très déçu par les échecs scolaires de son fils.

La mère est tendrement attachée à son fils.

Une soeur aînée, 20 ans, vit chez une tante.

Une certaine rivalité et une compensation affective à un sentiment d'infériorité apparaît dans ce dessin.

Fig. 5 et 6 - Garçon de 8 ans.

Dans le dessin :

a) une bouteille de vin est seule dessinée d'emblée avec l'indication « papa maman donne à boire »

b) deux personnages très schématiques et minuscules figurent : la mère à gauche, le père à droite.

Dans la famille :

L'enfant, jeune sourd-muet de 8 ans, pratiquement abandonné par sa mère ivrognesse, irrécupérable, peu aimé par un père repris de justice, vient se réfugier dans une famille amie où il jouit d'une chaude atmosphère d'accueil pendant les vacances au cours desquelles son institution de sourds-muets ne peut le conserver. Il pratique bien la lecture labiale, et comprend ce que je lui demande. Spontanément, c'est à la bouteille qu'il pense pour symboliser sa famille.

J'insiste. Alors, le dessin du couple parental est peu chargé affectivement. Il m'étonne parce que l'enfant me paraît d'un niveau mental très supérieur à ce qu'il vient de produire en se référant à l'échelle de Goodenough.

   

Je lui demande aussitôt après, de me dessiner moi-même. Sans hésitation, d'un trait assuré, il me dessine. Je suis pour lui « papa l'auto ». En quelques minutes, le bond dans l'échelle mentale paraît énorme !

Il y a peu - ne nous en étonnons pas - les parents ont été déchus de la puissance paternelle par décision du tribunal.

   

fig. 8. - Fille de 8 ans et demi.

Dans le dessin : un gros chat puis trois personnages, dont elle décide que celui de gauche est un homme, et les deux autres, au milieu et à droite, sont des femmes.

Dans la famille : la fillette tout d'abord m'a demandé : « Qu'est-ce que c'est une famille ? »

A ma réponse : « Dessine-la comme tu le veux » elle a répondu : « Alors j'aime mieux faire un chat ».

Ce n'est qu'après avoir terminé le chat qu'elle s'est décidée à dessiner les personnages sans vouloir donner d'explications, si ce n'est pour l'indication du sexe.

En fait, cette enfant, née d'un premier mariage, tôt orpheline de mère, n'a jamais vécu au foyer familial. On l'a placée pour se débarrasser d'elle et le père et la marâtre ne viennent la voir qu'une fois ou deux par an, et, à chaque occasion, l'accablent de reproches injustes.

Rejetée par la famille, elle la rejette, aussi, en bloc.

   

Ceux de nos camarades qui seraient intéressés par la pratique du dessin de la famille et désireraient s'informer plus précisément auraient avantage à étudier les travaux du Dr Maurice Porot parus sous le titre : « Le dessin de la famille. Exploration par le dessin, de la situation affective de l'enfant dans sa famille ». Dans les revues suivantes : Groupement français d'études de neuro-psychopathologie infantile (avril 1950) - Pédiatrie n°3 (1952) - La vie médicale (juin 1952).

Par ailleurs, un excellent ouvrage de base du Dr Porot : « L'enfant et les relations familiales » Padera -PVF 1954-1959, reprend des pages 235 à 246, cette technique graphique pour en tirer des conclusions particulièrement bien venues. Le reste de l'ouvrage propose en six parties une étude et une mise au point qui forcent l'intérêt et devraient constituer pour un éducateur une source d'utiles réflexions menant à une meilleure connaissance de l'enfance à travers chaque enfant.

Maurice PIGEON, Docteur en psychologie

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