Tout ce que l'enfant exprime par des formes est l'expression jaillissante de l'impalpable vie de son esprit, d'un monde qui n'est pas aussi simple que les adultes l'imaginent. Nous oublions trop souvent que l'âme enfantine est une perpétuelle naissance, qu'elle est en formation toujours recommencée, qu'elle a ses gouffres, ses profondeurs et ses ténèbres comme ses illuminations et ses sortilèges. Elle se tient sur un autre plan que la nôtre et elle a tous les droits de l'élucider, de se manifester par l'art.

Si j'avance que ses créations sont à l'état pur, sans ruses ni intermédiaires artificiels, cela ne veut nullement dire qu'elles sont « primitives », sans pivot, ni moyens d'expression. Elles portent à leur source, à leur extrême pointe, leur propre science puisée en elles-mêmes, une connaissance infuse de leurs pouvoirs, une connaissance instinctive, certes, mais dirigée et loin des stérilisantes joutes de l'art adulte depuis longtemps ossifié. Elles sont aussi loin de ce que l'on appelle de nos jours le « naïvisme », imposture de la peinture contemporaine qui, ayant fait fausse route en se perdant dans l'abstrait, cherche à se réhabiliter et s'ingénie à faire ingénu en singeant justement l'enfant qui dessine ou peint, en se donnant des allures d'enfant qui ne sont que des allures de vieillard.

Autre chose que cet art enfantin qui bouge, est mouvement, ne s'embarrasse ni de la perspective ni des lois étroites et strictes, avec cette fraîcheur de la couleur et des lignes enlevées d'un envol, dans sa gaucherie qui n'est ni voulue, ni recherchée, sans technique, mais qui se calque sur ce qui est vie. Que l'on ne s'imagine pas que l'enfant, crayon ou pinceau en main, jette sur le papier des figures inconscientes. Elles sont au contraire le fruit médité d'une tâtonnante recherche intérieure surgie à la bouche de la source, dans le flot venue du fin fond de cette source qui a eu le temps, dans son parcours, de se diriger, de se faire. Elles ressemblent, ces figures, à tout ce qui jaillit des genèses dans lesquelles se dévident les ténèbres illuminantes de ce qui naît, respire, enfin vit, et coulées dans une perfection d'un autre ordre que la règle d'or d'autrefois, trouvée d'emblée par la main de l'enfant à laquelle aboutit son esprit, cette main qui pense et sent mais par d'autres voies que les nôtres.

   

Je pense en écrivant ces lignes, à ce que Picasso confiait à Brassaï : « Quand je vois dessiner les gosses dans la rue, sur l'asphalte ou sur les murs, je m'arrête toujours... On est surpris de ce qui sort de leurs mains. Ils m'apprennent toujours quelque chose... » Matisse disait de même un jour en rendant visite à une exposition de dessins d'enfants : « J'ai tout à apprendre de cet art ». Car c'est un art qui prend à peine son essor, visionnaire, fluide, se déroulant sur des registres neufs et qui pourrait bien montrer la direction aux peintres déchirés entre eux-mêmes et les lois externes que des siècles de peinture leur imposent en les étouffant dans des carcans qui tuent leur inspiration, bouleversent et épuisent la rigueur spontanée des images. Et c'est l'honneur de la revue Art Enfantin d'avoir la première ouvert la voie à ces créations ruisselantes d'une beauté « autre » et de nous convier à nous pencher sur leurs frémissantes visions qui nous ramènent au domaine que nous gardons dans le fatras de nos idéologies rationalistes et dont nous portons la nostalgie, le domaine miraculeux de notre enfance.

ELIAN J. FINBERT

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