L'arbre dans le vent : Gaby, 13 ans, L'arc-en-ciel - Chalon-sur-Saône

L'arc-en-ciel

Un atelier expérimental, fonction nant dans des conditions sinon idéales, du moins plus propices que celles qui sont offertes dans la plupart des classes actuelles : surcharge, manque de place, morcellement des emplois du temps, ambition des programmes, surmenage des élèves, fatigue des enfants - et des maîtres ! en fin de journée...

Un atelier qui n'a pas la prétention d'être un modèle - des lacunes, des tâtonnements, des erreurs, comme il se doit dans toute expérience honnête. En cette aube d'une ère « quinquennaire », OÙ tout est remis en question, l'expérience d'un enseignement basé non sur des théories, des méthodes anachroniques, mais sur les aspirations profondes de l'enfant, de l'adolescent, de l'adulte pas encore contaminés, basé sur les prolongements, dans l'art - et la culture populaire - de cette spontanéité si efficace découverte par les pionniers de la pédagogie moderne, chez la prime enfance, chez l'enfance inadaptée (sic) à la trop vaine scolastique encore trop répandue...

Une nouvelle méthode ? Plutôt le bilan de 7 à 8 années de fonctionnement.

Local : une pièce assez petite, aux murs couverts de dessins d'enfants sous l'égide d'un Cézanne, d'un Matisse. Le matériel devenu classique des ateliers d'art enfantin couleurs en pots au milieu d'une grande table, chevalets, planches, pinces. Comme support, des échantillons de papier tapisserie. Eclairage artificiel, tube lumière-du-jour.

Une séance de10 h à midi le jeudi pour les enfants, une autre le samedi de 18 à 20 h pour les adolescents et les adultes. Dix à quinze élèves de tous les milieux sociaux, des maladroits, des gauchers.

Il y a - et c'est très important interférence des deux cours :les travaux laissés en place, le cours « supérieur » s'extasie sur la fraîcheur, l'invention poétique spontanée - des petits, et à leur tour, le jeudi suivant, les cadets retrouvent dans les travaux des aînés, des vertus de composition, d'harmonie qu'ils assimilent sans mal.

   

Ces interférences suscitées, la direction du jeu est plus aisée, plus féconde si on sépare les enfants spontanés des apprentis-peintres. Puisse la fraîcheur de couleur, d'invention, demeurer vivaces dans les compositions plus savantes des « grands » !

La progression des travaux naît au gré de cette liberté surveillée des jeunes, de la curiosité aiguisée des apprentis, des découvertes dans l'étude technique de l'art traditionnel, de l'art actuel. Cette progression - ralentie chez les enfants - est plutôt une alternance des exercices observation-imagination.

Il ne s'agit pas, certes, de l'observation morcelée, traditionnelle, crayon tendu à bout de bras - inefficace et anti-pédagogique mais de l'enregistrement préalable à toute exécution, des détails caractéristiques essentiels. La fleur bien observée, il sera plus excitant de composer « son » bouquet dans le vase de son choix, sur le fond de son invention, et l'oeuvre ne sera plus une planche anatomique mais une création personnelle nourrie des données de la Nature, enrichie des sortilèges de l'imagination.

On ne peut apporter dans la salle toutes les créatures de l'immense Univers, mais on peut observer d'excellents documents photographiques en couleurs : le perroquet vêtu de lumière, les chevêches grises dans la nuit violette, arrondissant leurs prunelles de feu...

La Nature, bon levain, graine de rêve, source vive de pure Poésie !

Pensant à la fête des Mères, pour changer du bouquet devenu traditionnel, je montre une Vierge à l'Enfant de la Renaissance, une Sainte Famille du XVIe siècle flamand en conseillant d'actualiser et de personnaliser la scène : vos parents, votre petit frère, votre décor familier... Pensant à Picasso et ses interprétations de Vélasquez, je montre une Infante. Travail de mémoire bien sûr. Résultats très encourageants : de touchantes Infantes parées de grâces enfantines et des plus suaves couleurs...

La Jeune fille de Vermeer, traitée en couleurs le jeudi, en valeurs le samedi. Notion de clair-obscur, contrastes, passages, écrans, les tracés régulateurs, les tons chauds les tons froids, pour comprendre le véritable langage de l'art des musées, l'ordre, conquête renouvelée et privilège de l'artiste dans les époques les plus troublées. Mais, s'il ferait bon de s'inspirer de reproductions d'oeuvres réalistes-photographiques d'exécution, nous ne le ferions pas d'oeuvres contemporaines. Cézanne et Matisse, vénérés maîtres de nos travaux du samedi sont présents en permanence.

L'un assume tout l'héritage de la tradition : clair-obscur, valeurs, composition classique à l'origine du grand autodafé cubiste. L'autre marque l'apothéose de la couleur, la libération triomphante et en somme l'auto-destruction des formules de l'ère quaternaire. Qu'on ait pu, dans sa maturité penser à des oeuvres enfantines, qu'on ait pu valoriser en pensant à Matisse les travaux des enfants, n'est-ce pas le signe d'une renaissance, la promesse d'une aube nouvelle après le véhément feu d'artifice de Van Gogh, puis les brandons éteints, les pétards mouillés de l'art actuel ?

Heureux enfants qui connaîtront bientôt un art d'aujourd'hui, une peinture qui ne sera plus de chevalet, une sculpture qui ne sera plus d'étagère.

L'arbre dans le vent : sans feuilles. Un rassurant corbeau, un gentil renard, chez les petits. Une cosmogonie de tourbillons affrontés chez les plus grands qui vivent le drame de notre époque et libèrent des forces neuves. Des études de rythmes purement objectifs pour essayer ses ailes, et revenir vite à la bonne Mère Nature.

Le rythme. A défaut de celui des valeurs périmé, celui des couleurs, des lignes. Langage mesuré des époques sereines, exalté des temps troublés. Chant devenu cri en notre époque d'inquiétudes démesurées. Une époque qui trouvera cependant dans des expressions nouvelles, ses chantres et son harmonie.

ROGER LAGOUTTE

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