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LA PAROLE ET SON ART

CHEZ L'ENFANT

Quand l'enfant s'exprime par le dessin, il extériorise une pensée, une conception sensible du monde qui l'environne et des sentiments qui s'y rapportent - à tel point que selon les lignes, les volumes, les dispositions, les nuances et les rapports, une psychologie élémentaire de l'enfant en jaillit pour toute personne initiée à l'interprétation de ces signes.

Quand l'enfant parle (ou se tait), selon le ton, le débit, la violence, la douceur, la bizarrerie du « verbe », toute personne initiée à l'interprétation de ces signes en tire également des conclusions psychologiques.

Le dessin est une récréation à partir de certaines expériences sensibles visuelles, bien sûr, mais aussi comparatives entre une vue fragmentaire du monde, l'impression que l'enfant en reçoit et qui établit comme une somme entre cette perception du monde et celle qu'il a de lui-même. Si ces rapports sont normaux, l'enfant signera son oeuvre joie, confiance, vie, douceur, espoir.

Si ces rapports sont faussés, il y aura une toute autre atmosphère lisible.

   

Quels sont les facteurs de ces déviations d'harmonie entre l'enfant et le monde ?

De quelque point que l'on parte on aboutit toujours à un trouble affectif.

Mais, cependant, je n'ai donné un aperçu de ce qu'est la « psychophonie » adaptée aux enfants que pour éclairer l'attitude des Maîtres envers leurs élèves.

Cette attitude s'inspirera de tout ce que j'ai évoqué à propos d'une rééducation des troubles de la parole.

Des chants, des activités rythmées précédées de décontractions et de respirations harmonieusement conduites, peuvent avoir une influence sur des enfants pour calmer leurs nerfs et aider un retour à la norme habituelle du langage correct. Ce sont ceux dont le coefficient d'altération est minime, Mais en dehors de tout appel à des facteurs extérieurs, ce sera surtout par leur information et leur attitude personnelle que les maîtres réussiront à impressionner l'enfant et à favoriser la recréation en lui d'un langage harmonieusement structuré.

Il est grand temps que les maîtres s'ouvrent à la notion qu'ils sont des véhicules non seulement scientifiques et pédagogiques, mais tout simplement humains. Les sciences et les techniques pâliront toujours devant le rayonnement qui émane de l'humain vraiment personnalisé en toute conscience. Il ne s'agit pas de beauté à proprement parler, apanage involontaire de naissance ; mais il s'agit d'harmonie, d'esthétique, d'équilibre. Il existe une maîtrise de soi, une science persuasive d'utilisation des gestes et de la voix, qui est l'Art par excellence. C'est un art dont le corps et le caractère et la voix sont l'instrument. C'est une réalisation de toutes les possibilités de l'homme pour toucher, pénétrer d'une façon irrésistible l'enfant - et aussi l'adulte bien sûr. C'est la communication par excellence et le vrai moyen transcendant d'échanger l'humain. C'est le message de l'esprit ; jamais un enfant ne restera insensible à un maître émanantjuste ce qu'il doit et ce qu'il veut.

Ayant pour mission de transmettre les premières notions de sciences humaines aux enfants, des instituteurs ou institutrices gagnent certainement en efficience à être doués d'une voix prenante aux inflexions fermes et nuancées ; à connaître les quelques règles essentielles de l'expression corporelle exactes par rapport à la parole. En un mot, ils doivent réaliser leur propre harmonie vitale et expressive pour créer dans le psychisme et l'esprit de l'enfant des associations d'images agréables et merveilleusement constructives pour lui, Ces images seront des bases solides de construction du langage et donneront lieu à des multiplications schématiques dont les répercussions se feront sentir tout au long de la vie.

   

Si un maître parle mal, s'exprime mal, est gauche, gêné par sa propre personne, si sa voix frappe désagréablement l'enfant, comment supposer que celui-ci ne reflétera pas ces défauts dans ses images intérieures ?

La science qu'on lui transmettra ne sera plus filtrée alors positivement dans la zone thalamique de l'affectivité. Elle ne fera plus appel alors qu'à une raison mentale abstraite ; si abstraite qu'à l'extrême de ce défaut elle pourra aboutir à une dissociation de la personnalité,

Comme toujours, c'est en corrigeant un défaut, chez les autres ou chez soi, qu'on prend mieux conscience de la perfection opposée à ce défaut, et pour bien saisir les impératifs d'une éducation de base de l'art humain du langage et de l'expression, il faut avoir connu un peu et réfléchi à ce qu'est une rééducation dans ce même domaine.

Mozart a écrit une merveilleuse sonate où il a accumulé toutes les fautes de composition possibles afin de faire saisir à ses élèves par l'absurde, tout ce qu'il faut savoir sur l'art du compositeur. Cette pièce humoristique reste toujours ravissante comme du bon Mozart. Puissé-je, à l'exemple de ce Maître, avoir pu, en parlant de rééducation, faire surgir en mes lecteurs toute une série de réflexions éclairant les problèmes de la classe enfantine.

Il est des maîtres qui ont le don inné vocal et expressif ; ils ne peuvent en expliquer le secret, mais leurs élèves seront toujours bien disants et bien chantants. Les autres doivent méditer, et, mesurant mieux le rôle de l'affectivité dans le langage, travailler sur eux-mêmes à devenir « mieux disants » et « mieux chantants ».

On fait aimer ce que l'on est.

Les enfants élevés par les loups n'arrivent jamais au langage humain ; du moins, les quelques expériences qui ont pu être faites nous ont-elles amenés à cette certitude. Un humain potentialisé au maximum dans le domaine de l'expression, non seulement construira dans l'éducation enfantine des images optimistes et fructueuses, mais rééduquera sans s'en douter des défauts contractés dans le milieu familial.

Tant il est vrai que l'Art, c'est la Vie même.

   

Il ne s'agit pas, en effet, d'une conscience que pourrait avoir l'enfant de sa petitesse par rapport au monde, ni même, s'il est infirme ou peu doué, d'un sentiment d'intériorité. Ce sentiment-là ne viendra qu'à la suite de l'incompréhension de l'entourage de l'enfant, qui n'aura pas ménagé à sa‑personne sarcasmes et traitements minimisants.

Je ne veux pas insinuer que l'enfant qui a fait une harmonieuse prise de conscience n'exprimera jamais la tristesse ou le drame - je veux dire qu'il le fera alors par jeu, par divertissement, par plaisir d'éprouver des sensations fortes - mais cela suppose la faculté supérieure de dominer ce jeu et de garder à l'arrière plan du soi la certitude que l'on n'est pas entamé, altéré par cette tristesse feinte, que l'on n'est pas identifié avec « le » triste.

L'enfant ayant subi un traumatisme a toute son optique déviée : il ne « jouera » plus la tristesse, il « l'exprimera » malgré lui, par son regard, sa voix blanche ou rauque, ou rare, ses gestes fermés : il est « le » triste.

Les séparations, les frustrations de tendresse, le manque de protection, la brutalité de l'entourage marquent l'enfant d'un doigt inexorable.

La voix trahit ces traumatismes là, autant chez l'adulte que chez l'enfant. Mais chez l'enfant toute la formation des réflexes, toute l'harmonieuse prise de conscience va en être perturbée.

Nous laissons aux spécialistes du dessin la tâche de nous en instruire au moyen des arts graphiques. Nous nous cantonnerons dans notre spécialité, celle de la voix parlée, chantée ou mimée.

Tourgéville,vados (M.Bouvier)

   

Les Costes-Gozon, Aveyron

(M.Cabanes)

Et si l'expression gestuelle nous livre des lignes tombantes, anguleuses, étriquées, amenuisées, ramassées sur elles-mêmes, roulées pour la défense, si son souffle est court et son regard buté, morne ou fuyant, de quelle façon le langage de cet enfant décelera-t-il pour nous des troubles ?

Pour l'analyser il faut savoir comment l'enfant arrive au stade de la parole.

L'enfant vient au monde doué de cinq sens dont les organes visibles sont situés tous dans le quart supérieur avant de la tête, à l'exception du tact dont l'organe est la peau, vaste terminaison nerveuse enveloppant le corps tout entier. La vue, l'odorat, le goût, l'ouie sont accompagnés dans l'oreille du dispositif pour servir de support au sens de l'équilibre, qui est un 6e sens, le sens spatial.

Le bébé tourne son expérience vers des prises de conscience sensorielles comparatives : la vue associée au tact, la vue associée à l'audition, etc... De ces prises de conscience doubles ou triples, si rien ne vient freiner les transmissions nerveuses entre les bornes réceptrices du cerveau, spécialisées pour chaque catégorie de messages, et la conscience, dont l'enveloppe corticale est le centre, naîtront des images. Il faut toujours une expérience double ou triple pour que l'enfant réalise une image au niveau humain. Par exemple le sein maternel lui donnera un sentiment tactile et une chaleur thermique, le biberon ajoutera une perception gustative à celui de forme et, plus tard, la vue et le sens spatial travailleront ensemble pour y ajouter la volonté de préhension et le conditionnement énergétique du geste. Des volumes ont pu être écrits sur ces sujets. Mais ce que l'on n'a pas assez dit, c'est que si vous mêlez à ces clichés constructeurs typiques de la petite enfance le refus d'une satisfaction sensorielle légitime, l'image mentale qui va se construire sera une image douloureuse et pénible. Et l'enfant n'ayant absolument pas le sens romantique à se délecter de douleur, ni un sens masochiste à jouir de cette douleur, l'enfant donc, parce qu'il est sain et orienté vers le bonheur, repoussera l'image qui lui occasionne une peine.

Or, en repoussant l'image, il rejette de lui le ou les premiers éléments qui lui permettront de construire l'univers cosmique dans lequel il est tombé - et ensuite il manquera à sa construction logique et géométrique les assises de base pour réussir les combinaisons du monde.

Il aura installé en lui ce que l'on appelle un traumatisme affectif.

Ce traumatisme engendre, au niveau de la reconstruction en langage humain, des images mentales de l'enfant, des modifications par rapport aux normes habituelles.

   

Ces normes sont les suivantes, à peu près :

L'enfant aborde dès la naissance le système cris et pleurs pour manifester son opposition à une impression désagréable. Puis il utilisera une émission de souffle émis en dehors de l'empire du chagrin ou d'un besoin pressant. Ce souffle se colorera peu à peu d'inflexions plus ou moins modulées, pour arriver à des « onomatopées », sortes d'interjections se rapportant à l'étonnement, la colère, l'envie, la plainte. Il y aura d'autant plus de diversité que la vie consciente se développera chez l'enfant.

Viennent ensuite les premières syllabes, le rapprochement des lèvres en forme de « M » pour la préhension de la vie, l'appel à la nourriture, donc à la mère. C'est pourquoi la mère ou la nourrice recevront à peu près dans toutes les parties du monde un nom commençant par un « M » : Maman, Mother, Mutter, etc... suivant les langues.

Ensuite la fonction de manger, de prendre la vie, se dissociera de la mère elle-même et s'exprimera par « am » ou « miam-miam », lorsqu'il s'agira d'une nourriture succédant au sein maternel ou au biberon.

Toutes les labiales ME, puis PE et FE seront l'avant-garde des autres consonnes. C'est par elles que l'enfant ouvre ou ferme les lèvres pour prendre ou donner la vie. Avec PE, il donne déjà.

Les mots ensuite seront associés à certaines images et prononcés suivant la phonétique linguistique du pays où l'enfant est né. Si certaines consonances offrent à l'enfant plus de difficultés que d'autres, après un temps assez court et à l'aide des exemples patients des adultes qui l'entourent, il pourra corriger ses erreurs de prononciation, ses abréviations, et acquérir un langage normal.

Marie‑Louise AUCHER
(à suivre)

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