Le chemin de Braque

Pour la dernière fois, dans les revues à grand tirage, le visage vivant de Braque nous apparaît. Buriné par le temps et le tumulte des pensées, illuminé par le regard aigu, il évoque pour nous, en cet instant de l'adieu, la richesse de plus d'un demi‑siècle d'expérience vive, le message d'un artiste qui fut aussi un homme.

Il s'en va, refermé sur son génie comme un livre de la Sagesse qui ne donne sa vérité qu'au long du temps, quand une méditation déjà mûrie en repense la densité.

Les provinciaux n'ont hélas ! pas eu le bonheur de contempler de nombreuses oeuvres de Braque, et tout le monde ne peut aller au Louvre pour lui rendre hommage puisque Paris toujours garde ses richesses avec un soin jaloux. Tant pis ! Ce sera avec plus de ferveur que nous nous attarderons à feuilleter les ouvrages qui lui ont été consacrés afin de retrouver au cours de sa vie les jalons lumineux de ses oeuvres les plus marquantes, les étapes d'une conscience portant très haut ses responsabilités d'artiste et de penseur.

Quand on dira, de loin, qu'il fut « le père du cubisme », nous saurons du moins que le cubisme qui fut le sien était avant tout signe de recherche passionnée d'un univers nouveau, ne prenant son plein sens que dans un autodidactisme austère, à l'écart des effets faciles et claironnants. Dans toutes les toiles de Braque, compositions, natures mortes, paysages, on suit la trame d'une probité logicienne ne laissant aucun signe en dehors de l'équation. La déformation gratuite et systématique n'y trouve pas sa place car le génie ne détruit pas sans reconstruire.

Ce que nous redécouvrirons surtout, cherchant l'homme à travers ses oeuvres et son temps, c'est combien il fut participant de cette atmosphère d'art, de poésie et de culture universelle et primitive au début du siècle et qui donna au cubisme un sens de totalité. S'il nous était donné d'entendre, à retardement, les discussions passionnées des artistes et des poètes, levant l'étendard de la liberté sans contrôle, nous y trouverions arguments à défendre la cause d'un art de toute éternité. Des vérités vives et prophétiques viendraient à notre secours, sorties comme des perles de la bouche des juan Gris, Braque, Delaunay, Kandinsky, Picasso, Jarry, Max Jacob, Cendrars, Salmon, Cocteau, tous à la recherche de cette Section d'or qu'ils découvraient avec ravissement dans les visions fantasmagoriques de l'enfance, l'art nègre, les taches humides des murs délavés, ou l'amoncellement cahotique et hétéroclite de cailloux polychromes ou de ferrailles inutiles. Cette source inépuisable de l'humilité des choses, toujours Braque l'a revalorisée, ennoblie, pour qu'elle reste grave et sereine dans les transparences du rêve, au niveau de la nature la plus exigeante de l'homme, Ce désir de réhabilitation permanente par le coeur et l'esprit, nous sommes heureux de le retrouver intact chez nos enfants : c'est comme un sens de, la Création qui s'en va loin dans les choses, pour les rendre plus lumineuses et plus aimantes et nous mettre en état de grâce pour les recevoir.

L'art authentique n'a, semble-t-il, pas d'autres ambitions ni d'autre message.

E. F.

 

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