Christian 13 a. Ecole des Marais (Oise)

Le Roseau vert entre les dents

Les grands, nous l'avons déjà dit, semblent éprouver une réticence devant l'expression libre. Ils se laissent tristement influencer par l'art des adultes, la tapageuse et criarde illustration où le mauvais goût le dispute à la banalité. Nos fillettes vont trop vers la « figure de mode », les garçons vers les poncifs « du cowboyisme ».

Si la sincérité de leur expression sensible est trop contrebattue par un genre de pudeur (ou un affichage de j'm'en-fichisme), la source se tarira de leurs inspirations spontanées, le déclin de leur production se précipitera. Les nécessités des examens font le reste...

Des alliés nous restent cependant : la coquetterie chez les fillettes pour employer un mot plus anodin que féminité, le désir d'évasion chez les garçons...

Ces deux attraits n'ont d'ailleurs qu'une même origine : l'affirmation de la personnalité. Nous ajouterons à cela une certaine manière d'humour chez les adolescents humour qui fait sourire les traits figés de la Morale, les traits tirés du Doute ou qui masque la Peur chez les velléitaires - nos adolescents n'y sont point tellement imperméables et l'utilisent comme paravent, afin de se donner plus d'assurance, s'imaginant par ce biais ne pas se livrer.

Bien souvent, en effet, leurs réticences ne sont pas appliquées aux seules créations artistiques. On les retrouve pour le texte libre - en prose - ou l'expression parlée. Cette attitude est prise à l'encontre de l'adulte plus ou moins volontairement.

Aussi le crayon, le pinceau donnent une sécurité au jeune qui a l'impression de garder secrets, ses élans, ses désirs... Combien de filles répugnent à rédiger des textes libres, sincères, vers la quatorzième année. Mais, peinture et poème, par leur formule instinctive et plastique, facilitent les éclosions.

Deux anecdotes peuvent illustrer ce qui précède...

   

Nadia est entrée en classe un matin, auréolée d'un superbe bouffant adorné d'une savante anglaise balançant harmonieusement sur son épaule. Vingt paires d'yeux l'ont suivie jusqu'à sa place. Le maître, sentant l'insolite « exorbitant » du spectacle, profite de l'entrée conjointe de Francis, qui, le hasard aidant, arborait une taille de cheveux « en brosse » toute fraîche, pour lancer une flèche de diversion :

« C'est croquignolet cette coiffure, Francis ». La suite montra bien que personne n'avait été dupe et que le qualificatif envoyé au garçon était destiné à la fille. Au cours de la matinée, un petit papier passa d'une table à l'autre. Interception. Constat. Interrogatoire de routine :

- A qui ce message ?

Lisiane : C'est Noëlle qui me l'a donné !

Noëlle : Je l'ai fait pour Lisiane !

Moi : Mais, c'est le portrait de Nadia !

On a le droit de dessiner, pas de correspondre pendant le travail. Nous reparlerons de cela plus tard... ».

Mais le coup de crayon magistral de Noëlle avait fixé en quelques secondes pour la postérité la coiffure de Nadia. Sanction inattendue - Noëlle refera en peinture grand format, ce portrait clandestin. Ce qui fut dit fut fait. Le modèle donna un coup de main à l'auteur et à quelques temps de là « la belle demoiselle » peinture un peu mièvre et plate, traitée dans un genre un peu conventionnel, avait les honneurs d'une exposition. Sa photographie dans le journal local a fait rougir de plaisir Noëlle. Mais elle avait tiré plus de joie de cette réussite - sur elle-même que du malin plaisir de dauber les superstructures capillaires de sa camarade.

Par contre, les productions de Marcel plus récentes, procèdent d'un cheminement beaucoup moins dû au hasard qu'à une heureuse résurgence.

Grimpé à mi-hauteur d'un pylône électrique, on avait vu - il y a sept ans je crois - ce jeune garçon né en Cochinchine, haranguer le soleil dans un langage hésitant (sa maman étant du Viet-Nam). « Je veux attraper le soleil » chantait-il à tue-tête.

Entre dix et treize ans, il n'a pas été prolixe sur sa vie intérieure. Mais depuis quelques mois, le goût des poésies lui est venu. Il exprime dans ses poèmes, sa nostalgie des horizons d'Asie, la chaleur tropicale, les miroirs d'eau, l'océan indien les fleuves, les bateaux, le soleil.

Sa dernière peinture - toute d'instinct et de maladresses techniques - miroite aussi. Elle reprend les thèmes habituels, eau, soleil, bateau... Elle contient un désir d'évasion d'autant plus bouleversant que son auteur n'a pas eu le désir avoué de l'exprimer.

R. DUFOUR

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