Ecole de Saint Benoît (Vienne)

Le Soleil a brillé...

« C'est au-delà de l'oeuvre qu'il faut chercher à comprendre l'étonnante révélation, à pressentir cette méditation centrale qui dure des mois et des années pour que se continue le miracle ».

S'il est vrai (qu')il n'y a pas de don du ciel (qu')il y a la conquête perpétuelle d'une vie plus ample et plus haute, comme se crée la plante qui monte vers l'épanouissement de la fleur. (Que) l'important est de savoir que la fleur n'est pas un aboutissement, (qu')elle n'est là que pour préparer la graine inscrite dans le rythme de la vie, pour en assurer la pérennité, en ce qui me concerne, il me faut remonter aux sources même de ma vie pour retrouver cette « Méditation si profonde, si intense, si durable, (qui)... se nourrit... de douce lumière, celle vibrante et nuancée de la Nature ».

Née au coeur d'un petit village dont la terre était assez riche et fertile, mais sans relief, ni rivière, ni forêt, dans un paysage en somme assez banal, mes plus anciennes images sont seulement imprégnées de lumière et de soleil : adorable soleil des dimanches matins et des fêtes de famille ;

soleil des premiers jours de printemps caressant la blancheur des cerisiers et des pruniers, le rose des pêchers et des pommiers,

soleil parfumé des bouquets de violettes, de coucous et de pervenches ;

soleil enivrant des lilas et des seringats, des prairies en fleurs et des foins coupés,

soleil éclatant du rouge des cerises sucrées, soleil accompagnant le chant du coucou et des grillons.

Immense et brûlant soleil des premiers jours de vacances et des blés mûrs ;

soleil encore chaud des derniers jours de vacances, mêlé au goût des pêches et des raisins ;

soleil étincelant de la neige

soleil prometteur de Noël et du jour de l'An ;

soleil des mercredis et des samedis soirs, et par-dessus tout, soleil du sourire de ma mère.

   

Ces impressions renouvelées chaque année au rythme des saisons, se sont associées à tous les actes de ma vie, le souvenir d'une année où il ne me fut pas possible de contempler les prairies en fleurs est resté marqué de noir.

Mais tous ces souvenirs se situent en dehors de la classe. Dans ce local gris qui portait cette inscription sur un de ses murs : « Ne crachez pas par terre, c'est sale et dangereux », et bien que j'y aie aimé toutes mes maîtresses, il me reste peu de souvenirs gais : l'histoire, la géographie m'ont toujours ennuyée, la rédaction était un supplice et le dessin une corvée, j'ai gardé le souvenir humilié d'une page de cahier arrachée parce que j'avais représenté une bouteille par un carré. Le meilleur moment était le samedi après-midi pendant le travail manuel, nous .pouvions un peu bavarder, et quand nous n'avions ni sujet ni pièce à exécuter, nous faisions des objets véritables, c'était un peu de création.

En ce temps-là, la vie était la vie et l'école une obligation qui n'avait rien à voir avec la vie. Vint le moment - qui coïncida à peu près avec ma sortie d'école normale - où Freinet fit rentrer la vie et le soleil en classe. Je fus emballée par ses premiers articles parus dans l'Ecole Emancipée, puis dans l'Educateur. Et quand plus tard, je lus ceux d'Elise, ce fut un réveil de ma sensibilité et une admiration sans borne pour une pédagogie exceptionnelle, capable d'entraîner si loin les enfants sur le chemin de la création artistique. Mais je ne pensais pas que dans ma classe aussi pouvaient naître de beaux textes, de belles peintures. Jusqu'en 1950 je n'avais assisté à aucun Congrès et j'ignorais l'enthousiasme qu'on pouvait y puiser et les résonances insoupçonnées qui pouvaient surgir. J'assistai d'abord à celui de Nancy, puis à celui de Montpellier où je m'attardai à l'exposition de peinture qui se terminait par un Christ « qu'un Rouault ne désavouerait pas ». C'était l'année où j'arrivais à Saint-Benoît, localité pleine de verdure et de rivières, j'avais un enfant de cinq ans dont je suivais les dessins depuis ses premiers gribouillis. J'avais 45 ans, il ne me restait plus que dix ans pour tenter l'expérience.

Ce qu'elle fut tout de suite ? C'est exaltant ! La joie des enfants au contact des pinceaux et des peintures éclata dans le jeu des couleurs : soleils dorés dans des ciels bleus côtoyèrent les arbres de printemps et d'automne, les prairies en fleurs.


Ecole de Lathus (Vienne)
   

Ecole Maternelle Vieux Calone
Liévin (P.-de-C.)

- Madame, m'afficherez-vous mon dessin ? me disait Yves (6 ans) resté au moins une heure après le départ de ses camarades pour terminer un dessin.

Alain (5 ans) peu préoccupé d'apprendre à lire et à compter dessinait toute la journée, d'un trait souple, élégant, il chantait dans des paysages très riches le travail de la campagne, la poésie, la beauté d'un cadre nouveau, riant et beau, contrastant avec la ville sans joie qu'il avait quittée.

Parallèlement, le texte libre s'enrichit, il y eut place pour la fantaisie et bientôt ce fut le rêve et la poésie, l'art.

Heureux, les jeunes qui ont la vie devant eux ! Pour nous, le temps était compté, les enfants brûlèrent les étapes. Le paysage apparut bientôt, l'enfant s'attarda à son oeuvre et le fond devint aussi riche que les éléments principaux. Tous les jours, à l'heure de la récréation, on préparait les peintures et pendant que les élèves de la grande classe jouaient, on se mettait au travail. Le graphisme s'enrichissait chaque jour dans le paysage, arbres, soleils, étoiles, maisons, oiseaux, insectes, serpents, poissons, portraits naissaient tour à tour. L'heure était exaltante mais elle passait vite. La palette formée de trente, quarante couleurs, quelquefois plus nuancée encore à la demande de certains, demandait des efforts, il fallait confronter, marier les couleurs jusqu'à ce que naisse l'harmonie, à la fin de l'heure, en apparence, le dessin n'avait pas beaucoup avancé, mais une maîtrise naissait de ce tâtonnement !

Des enfants, dont certains des plus instables, travaillèrent un mois et davantage ce qui représentait au moins vingt ou trente heures, ayant à coeur d'achever méticuleusement une oeuvre et de la mener égale jusqu'à son terme.

Et c'était un moment de ferveur et d'émotion que celui où l'on affichait les œuvres enfin terminées. Le tumulte qui accompagnait le travail cessait, chacun regagnait sans bruit sa place et attendait ; on connaissait d'avance les plus valables, mais fixées au tableau sur un papier blanc, elles apparaissaient toujours plus belles qu'à plat, là seulement on pouvait juger de leur unité et c'est toujours ce qui me saisissait le plus. On les jugeait, on les critiquait, on les admirait, les enfants avaient acquis dans cette appréciation un souci d'exigence extraordinaire, s'il arrivait qu'un petit détail détruisit l'harmonie, son auteur devait le corriger. Pendant le temps très court (deux ou trois jours tout de même), pendant lequel elles restaient au tableau trop petit, on en parlait encore, quand elles étaient enlevées, chacun les avait dans sa « tête ». Je crois que c'est ce jugement qui a fait le plus avancer les enfants. Des styles naissaient, chaque oeuvre dépassait la précédente et il en naissait d'exceptionnelles.

Je n'avais pas besoin de me demander où ils puisaient leur inspiration, en général ils subissaient l'influence des saisons et chaque couleur qu'ils manipulaient avec une parcimonie presque religieuse était le reflet de la vibration de leur vie prestigieuse et sensible.

   

Les enfants me firent le don total sans arrière-pensée de toutes ces oeuvres. A peu près toutes allèrent dans les congrès. Entraînée au départ par Elise, soutenue, encouragée par elle, je ne me sentais pas le droit de les garder. Je les retrouvais mises en valeur, plus éclatantes que dans ma classe, occupant presque toujours une place de choix. Et c'est en rentrant des vacances de Pâques que nous travaillions le plus. Pendant que le soleil entrait à flots par les fenêtres ouvertes, nous nous remettions au travail et nous nous dépassions encore. Je redoutais les fins d'année qui me faisaient perdre mes meilleurs artistes et le début des années suivantes qui m'amenaient de nouveaux élèves. La relève s'effectuait pourtant rapide, sans heurts. Sous l'influence d'une personnalité nouvelle, quelquefois le style général de la classe changeait, mais il paraissait n'y avoir entre les enfants et moi qu'une seule exigence : aller toujours plus loin et cette exigence fut toujours comblée et à une ou deux exceptions près, tous les enfants qui devaient me quitter à la fin de l'année réalisaient plusieurs chefs-d'oeuvre.

Les dix années, et même une onzième, toutes enthousiasmantes, sont hélas ! passées et elles n'ont duré qu'un éclair. Je ne saurai sans doute jamais comment l'âme de ces enfants éparpillés, tiraillés, sollicités par des tâches plus ou moins ingrates, par des loisirs plus ou moins douteux, aura été marquée par ces heures de création si intense, quels souvenirs ils garderont de ce recueillement si profond.

Il me suffit à moi que ces moments aient fait surgir les images adorables et lumineuses de ma première enfance.

Mme BARTHOT


Hélène 11 a. Ecole de Chinon ( I.-et-L.)
Jean Macé


Josiane 6 a. Ecole des Costes Gozon (Aveyron)

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