Ecole de perfectionnement de Lausanne - Suisse

LIVRES ET REVUES

LE BESTIAIRE SCULPTÉ EN FRANCE

V. H. DEBIDOUR, Ed. Arthaud

Comme tout ouvrage qui sort des éditions Arthaud, celui-ci ne peut que séduire les amateurs de beaux livres. Pour nous, éducateurs, plongés dans l'imagerie étonnante de l'enfance, nous sommes ici dans un milieu familier, au coeur d'un art joyeux et libre, dans une extraordinaire mêlée de réel et de rêve venue sans fin d'une genèse éternelle. Les images seules qui font chanter les quelques 360 pages de ce livre de la Nature et de l'hermétisme, suffiraient à nous combler, habitués que nous sommes au monde élémentaire des gestations qui se passent de commentaires.

Cependant s'y ajoute le texte d'un érudit en la matière qui déverse sans fin une argumentation conséquente pour nous démontrer que le règne animal des sculpteurs romans est à lui seul « une somme décorative, intellectuelle et spirituelle, puisqu'il est constamment en circulation organique avec le règne humain, divin, infernal et végétal ». Si profuse est l'aventure que parlant d'elle dit l'auteur, « c'est un vertige qui nous saisit »

Au XIIe Siècle, en effet, la France est au centre du foisonnement de la faune romane.

 

   

Ecole de garçons Palente-Cité Besançon - Doubs

Aborder la complexité d'un tel sujet c'est entrer dans le labyrinthe et n'en sort pas qui veut... V. H. Debidour s'en tire fort honorablement en prenant peut-on dire tous les chemins qui mènent à Rome, car c'est bien la Rome chrétienne, essentiellement occidentale qui sert de toile de fond à cet univers inouï de la Nature et de l'imagination humaine.

« Au moyen âge, écrivait Victor Hugo, le génie humain n'a rien pensé d'important qu'il ne l'ait écrit en pierre ». C'est ce que l'auteur tente à son tour de démontrer, bénéficiant, en apparence, de tout l'acquis d'un homme de culture du XXe siècle nourri d'intellectualisme, de spiritualité et d'art, et qui semble soucieux de ramener à la lumière divine le règne des ténèbres qui, il faut le dire, en a pris à son aise avec le créateur, tout spécialement à la période gothique. Cependant, nous sommes souvent mis en garde contre la supposition gratuite de profonds desseins dans un symbolisme qui n'est pas toujours significatif de vastes pensées, mais de contingences historiques, sociales, techniques échappant à des règles préétablies et à un enseignement spécifiquement chrétien.

Le lecteur trouvera dans cet ouvrage, abondamment illustré, les sources classiques d'une faune naturelle ou d'une anthropologie monstrueuse plongeant dans un passé millénaire. La documentation en est étourdissante et l'auteur n'en cache pas les origines païennes et profanes.

   

Bas-relief de Coursegoules - Les Femmes

Il nous semble cependant qu'il y a dans les sources, pourtant si amples et diverses, des thèmes innombrables de la sculpture moyenâgeuse, un oubli assez regrettable, celui d'une liaison presque évidente avec la science du moment : l'alchimie, V. H. Debidour, cite incidemment l'opinion d'Emile Mâle soulignant l'influence des clercs dans cette imagerie de la pierre, qui était aussi expression de la pensée méditative et discursive. Rien pourtant ne semble plus probant en des siècles où les clercs étaient tous foncièrement chrétiens et intégrés à la vie monastique et il faut le dire à une heure où l'Europe était à moitié païenne : « Toutes les vieilles supertitions, écrit Alfred Maury, avaient pris un déguisement nouveau, mais leurs traits n'avaient pas changé ». Ceci explique l'intrusion des anciens génies, de l'astrologie et des pratiques de la magie remises en honneur par des clercs de renommée mondiale, tels que Roger BACON, RAYMOND LULLE, ARNOLD DE VILLANOVA, SCOT, ALBERT LEGRAND etc, tous franciscains ou dominicains étudiant les sciences profanes des Arabes dans les universités internationales dont celles de Tolède et de Corfou. Les papes, branlant sur leur trône étaient, par la force des choses, consentants quand ils n'étaient pas eux‑mêmes des initiés à la recherche du Grand oeuvre dont les églises étaient les premières bénéficiaires. Il semble difficile d'expliquer autrement que par le symbolisme de l'hermétisme alchimique, une sculpture tirée des livres de magie et tout spécialement de la Kabbale, vulgarisée par la découverte de l'imprimerie. Ce symbolisme allait – au-delà de la lutte de Dieu et de Satan - concrétiser la forme des idées philosophiques, les découvertes de la science, la lutte contre le dogmatisme et relier le présent a un passé millénaire remontant aux sources de la Chaldée et de l'Egypte, Les clercs, grands bonshommes, possédant toutes les langues internationales de la culture profane et sacrée étaient, tout comme nos savants modernes à la recherche de la formule cosmique susceptible de dispenser la vérité de l'Univers. Les XIIIe, XIVe et XVe siècles sont tout entiers dominés par une ivresse de savoir qui ne reniait pas la foi mais postulait pour une liberté d'expérience illimitée.

Dans cet état de fait, il faut aussi prendre en considération les invocations par breuvages magiques et la simple thérapeutique médicale nourries de magie noire. Les narcotiques ramenés d'Orient par les croisades étaient partie des richesses commerciales dont on faisait négoce. Les visions enchanteresses ou démoniaques provoquées par les plantes aphrodisiaques donnaient la réplique aux extases ou aux infernales apparitions des Saints dans leur passion exacerbée. L'illuminisme des grands mystiques s'affirmait en même temps que les prérogatives d'une science abracadabrante et qu'une philosophie de l'angoisse, qui peuvent expliquer les fêtes de fous, les danses macabres, les envoûtements et exorcismes etc... et la sculpture gothique dans un monde où les chercheurs et les mystiques avaient l'illusion de transgresser tous les plans pour arriver à la lumière divine.

Au seuil d'une civilisation nouvelle qui redonne à l'imagination tous ses pouvoirs, nous comprenons mieux l'ivresse intellectuelle et passionnée du Moyen Age.

E.F.

   

École de Crouy-sur-Cosson – Loir-et-Cher

JARDIN DES ARTS

Direction : Henri PERRUCHOT, 17, rue Remy Dumoncel, Paris 14e.

Nous n'avons pas à faire de réclame pour les revues d'art qui n'ont pas consenti jusqu'ici à faire un échange de service avec notre Art Enfantin. Il n'y a qu'à regarder les réclames commerciales qui encombrent les premières et dernières pages des revues les mieux placées, pour se rendre compte qu'un art désintéressé comme celui de l'enfance ne saurait les retenir. En cela les directeurs de revues ont grand tort car c'est l'art de l'enfant qui fait comprendre l'art de l'adulte et sentir l'authenticité des oeuvres réelles, comme le jasmin naturel permet de titrer les essences artificielles de parfums de l'industrie...

Nous ferons cependant une exception pour le Jardin des Arts, qui n'a pas été jusqu'ici dévoré par la grosse réclame commerciale, mais s'en tient honnêtement à une réclame de culture qui, pour nous, n'est pas sans intérêt. Le contenu de cette revue est d'ailleurs tout spécialement orienté vers une éducation artistique de masse, assez simple et directe et surtout très variée. On semble moins ici subjugué par le tableau de chevalet et la renommée des grands poulains de la peinture moderne actuelle. Le passé et l'antiquité, les formes éternelles d'un art familier à travers les siècles, l'architecture qui jalonne les civilisations et signe le génie des grands constructeurs donnent à chaque numéro un visage sympathique.

Le dernier numéro (85) est tout particulièrement significatif de l'esprit de la revue. On y verra revivre une vieille ville de Franche-Compté. Dôle, qui redonne le goût des vieilles pierres. Le numéro 84, a la faveur de l'abbaye du Bec Helloin nous permettait une comparaison fort intéressante avec les églises d'aujourd'hui. Tout ceci pour dire que les sujets sont pris d'assez haut avec un souci exhaustif d'éduquer.

E. F.

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