Du jeu dramatique à une philosophie de la vie

Le temps s'avance vers Noël et tant j'y rêve qu'il arrive.

Il était loin, au-delà des montagnes, dans une vallée creuse. Maintenant, il approche, il grandit entre les étoiles... Chaque nuit, il est plus près et plus fort, jusqu'à nous toucher pour qu'on aille avec lui et que je chante et crie : Noël !

Il suffit d'entendre les enfants parler entre eux ou en classe de ce grand événement qui excite leur imagination pour se rendre compte qu'il y a dans cette fête des tout petits, un sujet inépuisable de rêve et de méditation.

Noël pour eux, c'est bien sûr le vieil homme généreux qui descend des nuages mais c'est aussi l'envol de la pensée vers des questions pour la première fois un peu angoissantes.

D'où vient Noël ?

Sur ces réflexions pleines d'impatience et de désir, commence notre fête de Noël. Tout y dénote un état de prédilection où l'imagination mène la farandole des rêves les plus inattendus - chacun a le sien qu'il offre comme un présent à l'enfant qui est en train de naître sans qu'on y prenne garde... car sans nous en apercevoir nous sommes déjà dans l'action.

   
   

Déjà les acteurs ont leurs instruments de musique entre les mains. Tout enfant qui joue d'un instrument est aussi acteur. (J'ai noté quelques passages des improvisations à l'intention des camarades qui s'intéressent à ce genre d'activité. Des enregistrements et des films seront plus éloquents).

On peut dire que l'enfant, dans ces instants de libération profonde est capable de créer sur le plan dramatique, musical et plastique, des oeuvres de véritable valeur.

JEU SCENIQUE :

Il va de soi que le Père Noël est le personnage central de la pièce. Il marche gravement au milieu d'un cortège d'assistants qui le précèdent, le suivent, en longue file, chacun jouant d'un instrument de musique. L'ensemble très impressionnant arrive dans un grand souffle de flûtes et de sifflets très doux,

 

   

A leur passage, toutes les créatures se couchent et s'endorment : une immobilité presque biblique s'installe sur le plateau alors qu'un son de flûte très lié annonce une solennité attendue.

Quelques coups de tambour très doux dans lesquels sons clairs et sons assourdis s'unissent, précipitent l'événement de dernière heure: la présence du Père Noël passant dans un monde endormi qu'il réveillera tout à l'heure.

   
   

Les accompagnateurs du Père Noël frappent des pieds et font une musique de marche qui s'allège et s'évanouit.

On n'entend plus rien.

Un chant modulé de caille traverse la scène et s'éteint.

Puis, deux personnages mystérieux font irruption sur le plateau. Ils se penchent sur ce paysage endormi, appellent les grillons (qui chez nous sont toujours à l'honneur...). Un troisième personnage surgit qui fait retentir le timbre de bronze.

   

La caille reparaît : elle a pris un masque nègre.

Le grillon chante dans un tube en carton qu'il martèle en même temps.

Les longues flûtes en roseau et en bambou reprennent les souffles de Noël.

   

Les enfants d’éveillent petit à petit.

Des voix murmurent et prolongent la nouvelle : « Il va arriver !... Il va arriver !... Il va arriver !... » Il est huit heures et demie.

Les choses et les enfants endormis tournent la tête ici et là. Tous attendent dans une grande impatience. Un flûte redit doucement la musiquette que tout le monde a maintenant en t^te, mais sans qu’on l’entende. C’est un murmure imperceptible, sauf quelques notes qui sortent ça et là d’un instrument ou un autre.

Puis des personnages nouveaux et mystérieux font irruption, s’évanouissent : des bruits rythmés montent : Un génie s’écrie : « Le Père Noël arrive avec sa grande hotte !... C’est l’heure ! C’est l’heure ! ».

Tous les musiciens jouent cette annonce triomphale et c’est une sorte de vacarme-fête foraine qui peu à peu se soude à la musique des instruments, et c’est la danse catalane « où il faut bien lever les guibolles » jeter des serpentins à ceux qu’on aime, et crier Oh ! Ho ! en sautant au bon moment.

Et c’est la distribution de jouets.

Tout se tait : on n’entend plus que la voix d’un petit garçon qui d’un ton émouvant redit les réflexions de tous :

   
« Mais pourquoi a‑t‑on inventé le Père Noël ? ».
Les parents ont dû penser : les petits auront plus de plaisir
de croire que les choses ne se paient pas et diront :
« Qui m'a porté cela ? Ce serait gentil de le voir ».
Peut-être y a-t-il un Père Noël ?
Ce qu'on imagine est vra ? Ou faux ? Ou moitié-moitié, ou vrai un jour, d'autrefois, ou demain ?
Pour nous faire croire, les parents nous disent :
« C'est vrai puisque je te le dis ».
Et devant les jouets posés :
« Tu vois bien ! ».
Mais quand on sait, c'est triste.
C'était trop beau, un autre, au ciel, qui nous aimait.
Peut-être voulaient-ils nous faire croire qu'ils n'étaient pas tout seuls à nous aimer.
Ils m'ont dit ce matin : « Pas de Père Noël si tu n'es pas sage ! ».
Quand j'aurai un gosse, je lui dirai :
« Le Père Noël c'est moi », un point c'est tout.
   

Pourquoi a-t-on fait la Noël ?
Pourquoi les arbres de Noël ?
Pour monter ‑une joie. Mais les oiseaux montent leur joie en faisant leur nid sur les sapins. Oui, leur joie en portant à manger, ils font la fête. Ils sifflent et chantent merci. Il chantent pour avoir des petits comme eux et quand ils se font des bises ils sont fous de joie. C'est la vraie fête des naissances. Toujours les morts sont remplacés par les vivants et c'est la vraie fête. Noël, c'est Noël. Fête aux enfants. Les papas sont contents, les mamans sont contentes, les pépés sont contents. C'est pour cela que le Père Noël est un pépé à barbe. Pour que ce soit quelqu'un qui ait de l'habitude des petits enfants qui disent : « J'existerai toujours parce que les pépés sont gentils ».
Ça lui rappelle quand il était petit et courait dans les prés. Il y en aura toujours qui feront la vie belle, Pour qu'une fois au moins elle soit bien faite.
Joyeux Noël !
Joyeux Noël !
Nos papas seraient tristes si on leur disait qu'ils nous ont trompés. Ils n'auraient jamais dû mentir, jamais.
Maintenant j’y tiens au Père Noël. Je ne peux pas l'abandonner. Quand il y a un arbre de chaque côté de moi, si je suis à un, je vois l'autre pleurer, je vais à lui et j'essaye de lui mettre des fleurs sans jamais pouvoir. Je réussis seulement les graines. Il faudrait tout resemer. C'est pour cela qu'on garnit les arbres. Pour la fête des herbes, des graines dans la terre, des oeufs ; la fête pour qu'ils pensent à venir bientôt à leur grande fête d'été où tout est vrai et recommencé et beau. J'aimerais que tout le monde m'aime et que j'aime tout le monde. Toujours, toujours.

Ce reportage qui vous paraîtra un peu trop à bâtons rompus, n'est pas là pour vous donner en exemple une petite démonstration scénique qui n'a d'autre valeur que celle de signifier l'intensité d'un instant de vie des enfants. Mouvements de scène, personnages inventés, musique improvisée, ne sont relevés ici que pour vous faire sentir une sorte de déracinement de l'enfant de l'existence quotidienne et pour signifier surtout le drame des réflexions enfantines qui suivent la si grande fête.

Dans ces réflexions, perce déjà une philosophie de la vie, une évaluation du bonheur qui pressent la fragilité des choses humaines et le désenchantement, sans que jamais, cependant, ce désenchantement subsiste et aigrisse l'âme. Oui, nous avons encore beaucoup à apprendre de nos enfants.

P. Delbasty

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