Lorsque « l'histoire » ou « l'événement » jaillissent d'intérêts collectifs puissants, lorsqu'ils sont l'expression de moments de vie profondément éprouvés par la classe entière, de véritables jeux dramatiques peuvent naître, s'organiser, s'épanouir jusqu'à l'aboutissement spectaculaire de la fête enfantine.

Dans ces jeux collectifs, les possibilités d'expression, d'invention, le rythme naturel de chaque enfant, non seulement se font spontanément jour, mais encore sont multipliés, valorisés par l'obligation où chacun se trouve de regarder les autres, de tenir compte de leurs apports, de collaborer avec eux, de les rejoindre dans le jeu.

Ainsi les liens de cette communauté vivante qu'est la classe s'y resserrent-ils. Maîtresse et enfants vivent une même création. Le vivant dialogue des gestes, des émotions, des sensibilités qui se répondent et s'étayent, provoque et soutient la construction du jeu.

Cependant, celui-ci, pour valable et riche qu'il soit dans le cadre de la classe, n'est accessible aux spectateurs les plus éloignés du milieu enfantin, qu'à la condition d'être véritablement un jeu dramatique. C'est-à-dire de présenter certaines exigences d'unité d'action, un « drame » qui se noue et se dénoue en sa durée.

C'est ici que la « part du maître » se révèle à la fois délicate et importante :

Pour organiser le spectacle et lui faire « passer la rampe » l'éducatrice doit choisir parmi les nombreux apports enfantins spontanés, les arguments du jeu et leur enchaînement.

Le canevas étant cerné de façon assez large, il faut alors introduire l'élément musical qui donnera au jeu enfantin le soutien d'une émotion vivifiée, clarifiée, ordonnée par la ligne mélodique, aux gestes une ampleur, une plénitude qui débordent infiniment le cadre de l'improvisation première.

Voyez notre jeu des 4 saisons dont nous vous présentons, en photos, quelques moments :

Il est né, chez les éducatrices, du désir de montrer à un public non averti, le véritable visage de la petite enfance, sa joie de vivre et de créer, sa prodigieuse faculté de métamorphoses, son élan vers la vie sous ses multiples formes.

L’HIVER Vue d’ensemble de la scène

Des moments de vie privilégiés

Reportage photographique de Madeleine Porquet

Cette fête a été l'expression de moments de vie privilégiés vécus en profondeur par les enfants et les institutrices, à travers toutes les activités de la classe au cours des quatre saisons de l'année.

Notre désir de « donner à voir » le véritable visage de l'école maternelle lors d'une grande fête de fin d'année destinée à un public aussi varié qu'important (plusieurs milliers de personnes) nous a amenées à rechercher et à mettre en scène des JEUX COLLECTIFS nés de la vie même de nos petits ; jeux simples et naturels où l'aisance des gestes créés spontanément puisse être soutenue et étoffée par des THEMES MUSICAUX amples et harmonieux ; jeux collectifs issus des intérêts enfantins, intégrés à la vie du milieu et à celle de la classe ; jeux à travers lesquels s'exprime la JOIE ENFANTINE et se cultivent (en particulier grâce à la musique classique dont leur vie s'imprègne) LA SENSIBILITE et L'IMAGINATION enfantines.

Voyons donc le point de départ et l'évolution progressive de ce spectacle éclos dans la vie de tous les jours de quelques écoles maternelles de Brest.

POINT DE DÉPART. A l'école maternelle comme dans toute école du premier degré, toute création est chose de spontanéité et de recherche permanente. Il s'en suit que toute oeuvre d'une certaine envergure n'est pas exclusivement oeuvre enfantine mais aussi apport presque permanent de l'expérience quotidienne sous la direction de la maîtresse. Sûres des buts à atteindre, nos éducatrices sont restées à l'écoute de tous les événements familiers ou extraordinaires, concrétisés par les récits des enfants au cours des instants favorables où l'enfant, en confiance, raconte ce qui le passionne. Tout naturellement, nous sommes donc arrivés ainsi à des centres d'intérêts naturels pour chaque saison, chacun de ces centres d'intérêts étant progressivement enrichi de l'apport des enfants pas les divers moyens d'expression.

Jeux spontanés

MOYENS D'EXPRESSION. C'est ainsi que les institutrices sont restées particulièrement attentives :

aux jeux spontanés : gestes et danses improvisés, attitudes, etc,

aux observations sur les diverses saisons, observations faites non pas d'un point de vue scolastique mais faites de façon naturelle à propos des événements de climat, de milieu, spécifiques de chaque saison. L'expression libre permet à jet continu, des sujets d'observation innombrables :

LES MIMES L'enfant mime d'instinct tout ce qui l'émeut, le passionne. Le mime est chez lui un moyen d'expression authentique, sensible et le geste y est toujours à sa place.

LES DESSINS ET LES TRAVAUX des enfants au cours de chaque saison.

Il y a dans les activités spontanées ou motivées des enfants une mine inépuisable d'éléments sensibles, plastiques, techniques dont il est facile de tirer profit.

RYTHMIQUE : La danse est une expression toute naturelle pour les tout petits. La danse sur des rythmes musicaux n'est pas à apprendre : elle se fait d'instinct.

Ainsi donc, par les activités quotidiennes de la vie de l'enfant dans son milieu, dans la nature et en classe, nous avons trouvé matière à étoffer notre spectacle. Le danger n'était pas de manquer de sujets mais plutôt d'en avoir trop e d'avoir quelques difficultés à élaguer les gerbes généreuses assemblées dans nos dossiers.

Examinons de près les éléments sur lesquels nous avons travaillé au cours des quatre saisons.

ORGANISATION DU SPECTACLE

Chaque saison fut jouée par un groupe d'une quarantaine d'enfants choisis dans trois écoles différentes de la ville.

Chaque école a d'abord travaillé seule la saison dont elle avait pris la responsabilité. Puis nous avons organisé une séance commune au cours de laquelle nous avons distribué les rôles.

Nous avons réglé les entrées et les sorties, limité l'espace et convenu avec chacune du jeu de chaque phrase musicale.

Le bénéfice de ce travail en commun fut considérable tant pour les enfants que pour les institutrices.

Le spectacle fut un enchantement. Les enfants l'ont rejoué deux fois, la salle étant trop petite pour le nombreux public. Pendant ces deux séances les enfants ont toujours été d'un naturel absolu. Le deuxième jeu était aussi réussi que le premier bien que l'improvisation des mouvements soit parfois différente.

DÉCORS ET COSTUMES

Rien d'artificiel ne fut introduit dans le décor et les costumes.

DECOR : Le soleil - Décor qui centrait la scène symbolisait tout l'élan et l'enrichissement apportés par les petits pour la préparation de cette fête si profondément vécue.

Nous l'avions construit à partir du dessin d'un de nos petits, qui, un beau jour d'été alors que toute la classe peignait à qui mieux mieux des soleils entourés d'épis, de fleurs, de feuilles, d'oiseaux, nous avait donné, sans invitation ni suggestion d'aucune sorte, un étonnant soleil des quatre saisons à douze rayons portant les uns des bourgeons, des feuilles ou des fleurs, les autres des fruits ou des arbres enneigés.

Les rayons cernés de noir, se détachaient sur un fond alternativement gris, mauve, vert, jaune et bleu.

Lorsque le rideau s'est levé sur ce décor mobile et d'une facture si inattendue, d'un éclat si chatoyant, toute la salle a éclaté en applaudissements.

LES COSTUMES :
Choix des formes : Nous les avons voulus à la fois simples, souples et courts, pour assurer l’aisance des mouvements. Ils étaient très soigneusement finis puisque la fête était destinée à un très grand public : tuniques, jupe de feutrine, corsages, gilets, culottes furent exécutés par les institutrices et les mamans.
Choix des couleurs : En relation avec les couleurs naturelles des saisons et les dessins d'enfants qui nous avaient inspirées : jaune, rouille, feu, vert pour les feuilles mortes, vert, violet, noir et blanc pour les enfants.
Les jupes des filles étaient ornées d'un galon peint par les enfants.
L'HIVER : Nous inspirant des dessins d'enfants, nous avons composé une harmonie de bleu vif et blanc.
Les garçons étaient en tunique (à capuchons), fendues sur les côtés pour laisser passer les bras.
Les filles en tutus de tulle blanc à 7 volants.
PRINTEMPS : Les tuniques légères et courtes étaient confectionnées dans une harmonie de vert et de rose, en satin. Fleurs et rameaux.
L'ETE : Pour l'été nous ayons recherché une harmonie de jaune vif et bleu dur :
les épis en tunique jaune,
le soleil en tutu jaune,
les oiseaux en tunique bleu vif.

L'AUTOMNE

Tout naturellement par l'expression libre, les centres d'intérêt se sont imposés :
Les enfants ont observé, raconté, dessiné, mimé.
La chute des feuilles mortes, leur danse dans le vent.
Les promenades en forêt.
La cueillette des pommes au jardin et aucverger.
Les récits des chasses des papas ont suscité la curiosité et l'éveil de la pitié pour les bêtes sauvages des champs et des bois,
la splendeur de l'automne,
l'attrait de la mystérieuse vie des bêtes,
les dessins sur ces thèmes étaient tout particulièrement éloquents.
MUSIQUE : Le concerto de l'automne de Vivaldi (n°3 en mi majeur) est écouté en classe, mouvement par mouvement à la suite des récits et mimiques apportés spontanément par les enfants.
Chaque mouvement est d'abord dansé librement, puis une interprétation collective est recherchée.

LES ARGUMENTS DE L'AUTOMNE

Nous retenons trois arguments qui correspondent aux trois mouvements du concerto :

a) Promenade dans la forêt et au verger (1^er) allégro.
Le premier mouvement du concerto en mi majeur comporte trois thèmes musicaux dont deux s'enchevêtrent constamment :
l’un au rythme sautillant que nous réservons à la promenade en forêt,
l'autre au rythme tourbillonnant sur lequel danseront les feuilles mortes et soufflera le vent qui jouera avec elles.
Le troisième thème plus lent évoquera la cueillette des pommes mimée par une petite fille qui marchera seule parmi les feuilles, représentées par les enfants.
Le premier mouvement se termine par un retour du premier thème que nous traduirons par le passage des enfants emmenant la petite fille.
b) Une bête dans le bois marche parmi les feuilles, les caresse, se couche et s'endort : deuxième argument correspondant au deuxième mouvement du concerto adagio molto.
c) Les enfants passant et repassant dans la foret découvrent la bête endormie, la réveillent et la poursuivent cependant que les feuilles tourbillonnent et que le vent les entraîne dans des courses folles : troisième argument correspondant au troisième mouvement du concerto en fa majeur : allegro.

(Rideau : fin de l'automne)

L'HIVER

Un seul jour de neige cet hiver.
Nos enfants se sont précipités dans la cour,
ont regardé avec ravissement tomber les flocons,
ont construit un bonhomme de neige,
ont organisé une bataille de boules, des jeux, des glissades...
En classe, l'émerveillement s'est prolongé :
on a dessiné et peint les flocons, les enfants, les maisons blanchies, les arbres, les fleurs (en Bretagne nous en avons toujours) sous la neige, le bonhomme de neige...
et puis on a dansé dans la neige sur le concerto de l'hiver.
LES ARGUMENTS DE L'HIVER :
THEME DU JEU : Sur le chemin de l'école, les enfants regardent tomber la neige puis s'éloignent.
Les flocons tombent, tourbillonnent, meurent.
Les enfants, au sortir de l'école, courent dans la neige, confectionnent un bonhomme, se sauvent en faisant voler la neige dans un dernier tourbillon.
MUSIQUE : Concerto en fa mineur. Il présente trois mouvements.
a) Mouvement allegro non molto : plusieurs phases musicales s'intercalant :
L'une évoque la marche des enfants : elle est coupée de rythmes tourbillonnant et sur ces rythmes tombent tour à tour trois flocons.
L'autre évoque la danse tourbillonnante de flocons qui tombent tour à tour.
b) deuxième mouvement : largo.
Il est mimé par la danse légère de cinq flocons qui tourbillonnent autour des flocons tombés, voltigent, s'attardent et meurent à leur tour.
c) troisième mouvement : allegro.
Entrée en course des enfants, capuchons rejetés. Ils poussent les flocons dans le centre de, la scène, avec douceur pour en faire un bonhomme de neige.
Jeux autour du bonhomme : lancer de boules, glissades etc... L'un des enfants roule une énorme boule qui, lancée sur le bonhomme, le démolit.
Tourbillon joyeux des enfants et fuite vers les coulisses.

(rideau : fin de l'hiver)

LE PRINTEMPS

« Avant, c'était l'hiver, on marchait sur les feuilles mortes, les fleurs dormaient, les oiseaux pleuraient...

« Tout à coup, voilà que les arbres poussent, grands, grands et il y a des pâquerettes, de l'herbe et des petits lapins... Alors, les enfants arrivent pour cueillir les fleurs et ils chantent et ils dansent et c'est la fête du printemps ».

« Un arbre joli du printemps, ses branches tournent en bas. En haut, elles s'enroulent, se ramassent comme des escargots et le vent les remue, le vent du printemps ».

(Textes d'enfants)

Le, printemps est très certainement la saison la plus profondément vécue : l'éclatement des bourgeons, l'éclosion des fleurs, la confection des nids, les promenades à la campagne, tout y est sujet d'émerveillement pour nos petits. Leurs récits sont sans cesse inspirés par ces sujets. Voici quelques images qui traduisent cette joie du renouveau à laquelle les enfants sont si sensibles :

LES ARGUMENTS DU PRINTEMPS:

Nous avons retenu quelques rondes et jeux de tradition dansés si volontiers par nos enfants dans la cour dès qu'il fait beau.
Puis, pour traduire leur émerveillement devant le renouveau, une danse à deux : le printemps étant symbolisé par un garçonnet lançant des fleurs sur les pas d'une fillette.
Enfin, les jeux spontanés : jeux de fleurs, taquineries, confection des bouquets, danses autour des enfants qui se tressent des couronnes, des bracelets...
MUSIQUE: Concerto n°1 en mi majeur.
a) Premier mouvement : allegro.
Entrée en farandole : jeux et rondes de tradition :
Le chat et la souris.
Embrassez celle, celle.
Laissez-les passer les alouettes.
Colin-maillard.
Sortie en farandole.
b) deuxième mouvement : largo. Pas de deux. Le Printemps et l'enfant.
Le printemps sème des fleurs sur les pas de l'enfant qui le salue.
c) troisième mouvement : allegro (danses pastorales).
Entrée des couples dansant autour de deux enfants qui occupent le centre de la scène.
ramassent des fleurs,
font des bouquets, s'en taquinent.
Danse des filles autour des garçons.
Danse des garçons autour des filles.
Danse du printemps et de l'enfant autour des couples assis.
Danse de quelques filles autour des autres enfants.
Farandole finale.

(Rideau : fin du Printemps)

L'ETE

L'été est peu vécu en classe.
Les enfants n'en connaissent guère que l'éclat du soleil, la chaleur, les baignades et jeux sur la plage, la couleur doré des champs de blé, les vois serrés et les pépiements des oiseaux.
ARGUMENTS DE L’ETE :
Nous avons choisi comme argument du jeu : l'orage sur le champ de blé.
Pour respecter le texte musical, nous avons donc recherché avec les enfants, en écoutant les mouvements musicaux, une suite de jeux évoquant la chaleur et l'orage :
danse du soleil,
vol des oiseaux,
jeu du vent et des épis,
éclatement de l'orage,
déchaînement des éléments : danse du vent, des épis, des oiseaux.
MUSIQUE : Concerto n°2 en sol mineur.
Premier mouvement : Allegro molto.
Solo du soleil assis devant le champ d'épis. Passage des oiseaux.
Soleil et épis debout et se balançant.
Les oiseaux un à un traversent la scène, puis croisent le soleil et les épis se balançant.
Deuxième mouvement : adagio : Jeu du vent et des épis, debout, à peine balancés,
passage d'éclairs,
soleil agenouillé,
épis courbés.
Troisième mouvement : presto : Déchaînement de l'orage :
Les oiseaux traversent le champ en sautant.
Farandole des épis.
Course et tourbillon des oiseaux, éclairs, épis, vent autour de la gerbe qui symbolise le champ de blé.

Rideau (fin de l'été)