Ce sont des Picasso …

 

CE sont des Picasso...

- Ce sont les peintures des enfants de la classe enfantine ou ceux des grands, quand ils étaient à la classe des petits» renseigne la maîtresse.

Et pour  dissiper tout doute d'un geste, je désigne les enfants dans la salle et les peintures au mur de la classe des petits.

Picasso, l'Artiste

L'Enfant Artiste... Le mot artiste n'est là que parce que nous n'en avons point d'autre à notre disposition.

Nos enfants actuels ne sont pas des rêveurs comme le furent nos enfants poètes, Armande et Josette ; ils ne pensent qu'à leur vie toute matérialiste : manger, dormir, jouer (sans avoir d'autres soucis que ceux-là)...

Ce ne sont plus des enfants qui travaillent à la maison, comme au temps de nos grands, les Fernand, les Léonce, qui avaient chacun leur part de la tâche fami­liale : la garde «terrible» des cochons, pour Léonce, des oies pour Fernand ! Ils rêvaient eux, d'ailleurs beaucoup, en gardant...

Actuellement, si les enfants travaillent, ce sera à tourner le volant du tracteur, à pousser le bouton électrique qui mettra le moteur en marche...

Et, pourtant, apparaît encore le reflet magnifié de ce que ressent inconsciemment la majorité des végétatifs. Inconscient désir de la terre nourricière et belle, les maisons et les arbres de Françoise, les arbres, les oiseaux, la nature où se réfugie Jean-Marie repoussé chez lui ?

Ce ne sont plus les paysages brossés par Henri (le rouleau) par toute la lignée «d'avant». Ils faisaient, matin et soir,  deux ou trois kilomètres à pied, quel­quefois quatre fois par jour le chemin de la maison à l'école ! Ils vivaient en communion avec cette nature si changeante au long des saisons, les animaux, les plantes. Maintenant, ils vivent au village ; et ceux qui viennent de loin, les chers parents les portent en auto : c'est plus rapide, plus commode...

 

Progrès... oui, progrès, mais moins de contact avec la Nature dans l'auto, ou dans les rues du village. Moins de beaux paysages à contempler tout à son aise, moins de rêverie au long des chemins...

Cependant, à l'âge où l'enfant se cherche et se retrouve, vers treize, quatorze, quinze ans, c'est à nouveau l'éclosion. On la sent se préparer, on en suit les tâtonnements, les hésitations, l'éclosion.

C'est le plus souvent les filles qui, par le dessin, com­mencent à dévoiler leur âme secrète. C'est en général la série des portraits - l'image ou les images de la jeune fille qu'elles voudraient être - qui s'imposent au départ.

Essayons de voir l'ensemble, chez tous nos enfants de la terre, de cette montée vers la sûreté de l'expression.

Trois étapes nous apparaissent :

• Il y a d'abord une période pauvre où le dessin n'est soucieux que de reproduction fidèle. C'est une période cependant comme globale dans laquelle le sujet compte plus que la forme.

• Puis, chaque dessin est riche d'un détail mieux traduit, mieux aimé, mieux senti et qui se détache de lui-même, se met en relief dans l'ensemble encore pauvre et mal composé.

   

Cette période n'est pas sans réussites, parfois fortuites, mais qui sensibilisent l'enfant à certaines valeurs : originalité du dessin, choix heureux des couleurs.

Le détail heureux est très longtemps répété, placé dans d'autres combinaisons et l'inspiration finit par prendre ses droits, la personnalité par s'affirmer en même temps qu'une prise de possession d'une technique personnelle et un souci, non plus de reproduire mais de traduire, d'inventer, de créer,

• Alors, c'est l'éclosion : comme pour les textes libres, par tâtonnements heureux, l'expression trouve sa for­mule personnelle.

Cette période, si émouvante, est, hélas ! très courte pour nous car c'est le moment où l'adolescent va nous quitter pour se plonger dans les obligations de la vie quoti­dienne qui ne sera guère propice au rêve et à son expression.

Mais, nous l'avons constaté, ceux-là sauront toujours voir, sentir, aimer les beaux spectacles découverts à l'instant où la sensibilité en éveil aime toute la création. C'est à cet âge où l'on sait regarder «le grand frêne qui, dans la nuit, étend sa branche noire soulignée d'argent».

Ou : «La mare coquette, aux eaux vertes, lumineuses comme les yeux d'un chat. »

Ou : «Le ruisselet surprenant la sauterelle, qui part, ouvrant ses ailes en éventail rouge ou bleu... »

Ils sauront toujours être sensibles à la beauté du monde.

M .L et P. CABANES (1964)

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