L’enfant au cœur du monde
   

NOTRE plus grand mérite aura été de nous apercevoir que la vie de nos petits avait des caractéristiques bien à elle, centrées sur une sensibilité poétique et esthétique qui méritait audience et épa­nouissement. C'était la porte ouverte à toutes les techni­ques d'expression libre promues par Freinet dans sa petite classe de Bar-sur-Loup (A.M) expression libre qui devait devenir la clé de voûte de notre pédagogie d'École Moderne.

A l'échelle du temps et de la généralisation interna­tionale des méthodes naturelles d'expression, nous nous sommes rendu compte que cet état d'enfance avait valeur de culture et c'est pourquoi nous en prenons grande mansuétude. A y regarder de près, cette culture est plus qu'une modulation sur des mythes et des thèmes qui apparaissent comme l'essentiel d'une culture pour la culture telle que la conçoit notre monde occidental. Elle est plus encore caractéristique de données personnelles de talent et c'est cela surtout qui nous retient.

Oui, mais comment déceler le talent ?

Comment lui conférer le coefficient qu'il mérite ?

Il ne s'agit point ici on le devine, de procéder à de successives décantations qui, dépouillant le fait brut de sa gangue, arriveraient aux transparences du joyau de bon aloi. Nos recherches sont moins sélectives que l'exi­gerait une Culture qui, d'avance, a ses prototypes et ses démarches. Nous restons nous, au niveau de la vie et tout événement nous enseigne sans avoir jamais au départ de hiérarchie de valeurs préétablies.

Sur le plan de la vérité, la gangue vaut la pépite ; mais, bien sûr, à tous les âges de la vie, l'acte d'exister se double de richesses dont il serait impossible de ne pas tenir compte : invincible poésie du monde, aspi­ration au bonheur, besoin de tendresse, rédemption de l'espérance, perpétuelle transgression vers la féerie du monde.

Ce sont là métaux précieux qui scintillent dans le minerai de tout venant. Ils éclairent les existences enfantines de joie féerique qui a valeur de vertu.

Aussi bien ces joies-là - si pétries d'instinct qu'elles explosent en spontanéité immédiate - nous les retrouvons dans les formes majeures d'expression que sont l'art, la poésie, la musique, la danse, la dramatique en leur état naissant, spécifiquement originel.

Elles s'offrent dans leur jaillissement brut, sans prémé­ditation ni souci de gloire. C'est à l'éducation qu'appar­tient le rôle d'en sentir la densité, les résonances humaines et de les promouvoir dans leurs corres­pondances avec le monde en respectant leur ordre élé­mentaire.

Nous voudrions offrir aux parents, aux éducateurs, à tous les amis de l'enfance, quelques moments émouvants de notre vocation enseignante dans nos rencontres avec l'âme enfantine.

Il n'y a ici aucune prétention à faire beau, sélect, démonstratif : nous proposons simplement des actes vécus en totale sincérité. Ils ont pour nous signification d'éducation naturelle et profonde qui délivre à la fois un ordre organique et dirigé, revalorisant sans cesse la fonction enseignante.

Dans les jeux de surabondance de vie de l'enfance, nous sommes persuadés que se trouvent les vraies raisons qui justifient une éducation de totale prise en charge de la vie.

Nous avons conscience d'être au seuil d'un grand commencement.

Élise FREINET (1962)

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