Un lieu de bienveillance

L’ENFANT vaut ce que vaut son milieu. Il en reçoit une sorte d'imprégnation globale semblable un peu à celle que gagne l'éponge dans ses eaux originelles, tous pores ouverts dans les mille inconsciences de la vie qui se fait. Toute pensée qui naît à la limite de l'informulé est redevable de sa lumière et de sa charge aux yeux qui voient, aux oreilles qui entendent, aux mains qui touchent, à une sorte de voyance biologique reliant toute créature à son entourage immédiat.

De cette réalité fondamentale toute éducation doit tenir compte pour ne point susciter de coupure entre l'enfant et son environnement.

Nos pratiques de libre expression répondent à cette démarche primaire de toute adaptation aux influences de milieu. Elles créent un lien indissoluble entre l'enfant et la réalité ambiante dispensatrice d'intérêts permanents et de richesses insondables. Tout spécialement l'expression artistique donne pour ainsi dire un visage à tous ces impondérables d'échange et c'est pourquoi elle est si riche de valeur humaine. C'est pourquoi aussi, tout naturellement, les oeuvres enfantines trouvent une audience dans le petit univers où elles éclosent. Elles appellent une compréhension instinctive : chacun reconnaît les siens.

Cependant les choses vont plus loin qu'un simple flair qui se passe de langage. L'oeuvre créée est une oeuvre pensée, façonnée où la conscience a laissé sa trace émouvante reconnue par d'autres consciences. L'objet et l'image sortis des mains expertes font entrer celui qui les a créés dans le camp des travailleurs, même s'il est un petit enfant. Il y a comme une fraternité du beau travail, une culture du savoir-faire signée de réciprocité et de communion.

Ces raisons expliquent l'accueil bienveillant que font à nos expositions d'Art Enfantin les gens du peuple. Ils ne s'y posent pas de problèmes de vie intérieure. Ils entrent de plain-pied, accordés sur un fond de joie qui est celui qu'octroie la vie triomphante et y lisent leur vérité, première qui est celle du travail sanctifié par le meilleur de soi-même.

C'est cette réalité d'acquiescement que nous avons tenté d'évoquer dans ce numéro d'Art Enfantin, où nos camarades disent en toute simplicité comment la création artistique de l'enfant est devenue lien de bienveillance entre l'école et le village. Comment, dans un milieu où le destin de chacun est de prendre de la peine, l'oeuvre de l'enfant est à l'aube d'une culture qui ignore encore son nom.

Peut-être, au coeur de la Terre miraculeuse sommes-nous au début d'un grand commencement ?

Elise FREINET.

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